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L’OBJET DE LA D.L.E.

Cet article a d'abord été une présentation dans le cadre d'une école doctorale ayant pour thème "l'oral et l'écrit" et publié dans :

Verbum Analecta Neolatina VIII / 1, pp. 155–162 DOI: 10.1556 / Verb.8.2006.1.11

 

0- Introduction

 

Depuis la fin du 19ème siècle et l’émergence de la Méthode Directe, le champ de l’enseignement des langues étrangères (que Mme. Dabène dénommera la didactique des langues étrangères : D.L.E.¹) a subi une série de transformations autant profondes que fréquentes. Au fil de ces nombreux bouleversements, les théoriciens de la discipline finirent par concevoir un objet de la D.L.E. comme une entité au moins double, composée d’une part d’un apprenant (face de l’objet-didactique correspondant au sujet-apprenant qu’on devra qualifier : psychologique, gnostique, transcendantal, cartésien, particulier...) et d’autre part d’une langue à apprendre (face de l’objet-didactique correspondant à l’objet linguistique).

 

Cette dualité minimum de l’objet-didactique implique donc une multiplication des points de vue associant les sciences du sujet (notamment en situation d’apprentissage) et les sciences du langage. Cette première mitose objectale inaugure une série mitotique semblant tendre vers l’infini.

 

Cette fragmentation ne renvoie en fin de compte qu’au large nombre de paramètres définitoires. En multipliant les disciplines, le siècle dernier à multiplier les paramètres descriptifs de cet objet de la D.L.E. : linguistique, sociolinguistique, ethnographie de la communication, théorie de l’information, psycholinguistique, éthologie. . .

 

A l’opposé de cette complexification, une science telle que la mécanique classique étudie un objet simplifié se composant uniquement de deux paramètres : sa masse et sa position dans l’espace. Généralement, ce processus définissant l’objet d’étude par un nombre réduit de paramètres, choisis par le scientifique, se désigne par le terme de réduction.

 

Dans ce bref article, en évoquant les "Lectures interactives" de Francine Cicurel², je montrerai que les paramètres distinctifs oral et écrit ne sont pas toujours pertinents pour rendre compte de l’objet de la D.L.E.. Puis en tirant les conclusions de cette activité essentielle du sujet-apprenant qui consiste à émettre des hypothèses de lectures, je me demanderai si le refus par principe de toute réduction, tel que le formulent les critiques du courant éclectique ou post-communicativiste, sous prétexte de complexité, est logiquement fondé.

 

1- Activité de l’apprenant et hypothèses de lecture

 

Dans le cadre de l’approche communicative, l’objet de la D.L.E. se présente comme une situation de communication, soit orale soit écrite³.

 

Cette simple remarque démontre déjà que les paramètres écrit et oral ne revêtent pas un aspect essentiel pour nos définitions. Caractères annexes de la communication, ils appartiennent au champ du négligeable et s’avèrent donc inutiles lors de la description du sujet-apprenant face au texte, phonique ou transcrit. La préparation de la réception du contenu sémantique restera semblable dans ses principes profonds.

 

La situation de communication s’interprète dès lors comme une rencontre physico-concrète décomposée en deux étapes : (1) une approche globale et préparatoire qui permet de se familiariser avec le texte en observant les aspects méta- et para-textuels, (2) une approche détaillée du contenu du texte (que je n’aborderai pas ici.)

 

La familiarisation avec le texte passe par une série de tâches de prélecture. F. Cicurel les décrit comme l’observation et l’analyse d’un ensemble de signaux typographiques et iconographiques. Ces signaux constituent autant de « variables visuelles sur lesquelles le lecteur peut s’appuyer comme pour entrer dans le texte ». En étudiant les illustrations, le support, la typographie ; en relevant les indices de production du texte (le titre, l’auteur, la nature du support, l’éditeur, la date de publication) l’apprenant mobilise ses connaissances personnelles et assemble ses propres réseaux de significations dès la réception des signaux para- et métatextuels. A partir de son arrière plan culturel et du tissage des intertextualités, le lecteur élabore ses horizons d’attentes. Ils prennent la forme d’hypothèses que la lecture détaillée viendra infirmer ou confirmer.

 

Autant en fournissant certaines ressources encyclopédiques qu’en proposant les activités lors de cette phase de construction des significations possibles du texte, l’enseignant apparait au cours de cette phase comme un facilitateur à l’accès au sens.  Comme exemple, on peut citer le vedettariat de la politique qui participe entre autres à rendre opaques certains indices textuels. Ainsi en expliquant que J. P. Chevénement fut ministre des armées, l’enseignant rendra transparent le nom propre trop aisément substitué à la fonction publique dans le style journalistique.

 

On propose souvent à l’enseignant d’orienter les tâches de prélecture en suggérant aux apprenants de remplir la grille de Quintilien composée de sept questions :

 

(1) Qui ?= le narrateur,

(2) A qui ?= le destinataire,

(3) Quoi ? = l’idée principale, le thème, le titre,

(4) Comment ?=le support, la typographie, le style (didactique, narratif, polémique. . .),

(5) Pourquoi ?= les buts du producteur du texte (informer, divertir, polémiquer. . .),

(6/7) Où et quand ?= les conditions historiques de la production du texte.

 

Cette grille de Quintilien s’avère aussi d’une grande utilité lors de la vérification de la compréhension du texte. En la remplissant une seconde fois, l’apprenant pourra auto-évaluer sa saisie synthétique du document.

 

Le lecteur-apprenant affirme ainsi sa personnalité incontournable et active. Il assume l’initiative du dialogue avec son interlocuteur textuel. Il est une zone d’être actif qui se diffuse à partir de son centre et entamant le questionnement de chaque texte rencontré.

 

Et puisque les questions de Quintilien ne varient pas selon le texte étudié, elles restent indépendantes de leur réalisation phénoménale et correspondent donc à la définition kantienne de la catégorie, c’est à dire un schéma perceptif a priori que la réalité extra-subjective du texte viendra remplir. Certes chaque document fournira des réponses différentes, mais l’on suppose que tous possèdent à égalité la capacité de répondre à ces questions universelles. Leur présence rend possible la perception même du texte. Sans elles, le lecteur ne comprendra rien au document. Aux yeux d’un kantien, elles endossent déjà les attributs du transcendantal.

 

2. Origine subjective des catégories

 

Mais faut-il raviver le débat entre nominalistes et réalistes, faut-il nécessairement admettre, sous prétexte d’une prépondérance du sujet dans la prise d’initiative, que les catégories auxquelles on a réduit le texte n’appartiennent pas à l’objet ? Au contraire, le langage n’est-il pas objectivement modélisé depuis les brillants succès de la linguistique comparatiste et structurale ?

 

Justement, la classification des différentes langues manifeste nettement une emprise du sujet sur la réalité décrite. En effet, deux ensembles catégoriels au moins se proposent de classer les langues par classe. Les rapprochements génétiques au sein de familles linguistiques (les langues sont-elles romanes, slaves, etc.) concurrencent les regroupements par types (sont-elles agglutinantes, polysynthétiques. . .)

 

Après le constat de cette faille dans l’objectivisation des catégories qui ordonnent la diversité des langues, on se résout facilement à la fragmentation à l’infini de l’objet linguistique.

En refusant d’intégrer l’objet à une classe plus vaste regroupant plusieurs éléments semblables, on dégagera simplement la notion d’idiolecte. Bertil Malberg rappelle qu’ en partant d’une relativisation « de la distinction [. . .] entre héritage et emprunt », cette étape fut franchie en par Johannes Schmidt et sa théorie des ondes . Cette conception de l’évolution de différenciation des langues à partir de la supposée souche commune indo-européenne, décrit deux langues étrangères l’une à l’autre comme deux sommets d’une période d’onde continue. Chaque point qui sépare les deux sommets représente un idiolecte, variation minimale de l’objet linguistique. Chaque point, se distingue du voisin par un trait particulier, par un paramètre qu’il ne partage avec aucun autre et qui fonde son unicité. Le sort des armes décide de la norme retenue et définie d'une façon opératoire comme sommet de l’onde une langue officielle. Historiquement, une langue ne serait qu’un idiolecte de général vainqueur. Et si aujourd’hui deux langues donnent l’impression d’être étrangères sans aucune continuité apparente de l’une à l’autre, il faut en chercher la raison dans la disparition des dialectes intermédiaires, exterminés à coups de canon ou d’écoles jacobines.

 

Si les aléas historiques assument la responsabilité de la survie des langues, si les classes linguistiques se divisent, tantôt par type tantôt par famille, si l’idiolecte devient la mesure minimale et discrète de l’objet linguistique, alors tout nous pousse à ancrer l’origine des catégories au cœur du sujet.

 

Dans un livre récent le philosophe François Dagognet s’emploie à démontrer minutieusement la subjectivité de nos catégories d’appréhension du monde. En citant Dubuffet¹, il rappelle également que d’un trait poétique, « l’hirondelle poignarde le ciel ». Dans ce cas hirondelle est un élément de la catégorie des objets pointus et perforant. « Le rôle de l’artiste et du poète est de brouiller les catégories communes » qui associent par habitude hirondelle à cigogne.

 

Bref, la catégorie (linguistique ou pas) loin d’être une objectivité passive et résiduelle, porte dynamiquement le sceau d’une catégorisation, le fruit de l’imagination du sujet en action.

Aucune réalité du langage ne justifie le nombre de sept questions dans la grille de Quintilien. Certains exercices de prélecture n’ont recours qu’à cinq catégories syntaxiques, exprimées sous formes d'allitération en wh :

who ?, what ?, where ?, when ?, why ? (whom ?, whose ?. . .)

On peut facilement supposer que le nombre de catégories à retenir ne dépend que du niveau de progression de l’apprenant.

 

3. Le sujet modélisable

 

Focaliser l’attention sur le sujet-apprenant, débouche sur le constat pragmatique d’une multitude de publics, aux motivations diverses, aux stratégies individuelles d’apprentissage variées. Les historiens en prennent prétexte pour dater une nouvelle ère de la D.L.E..

 

Wilfried Decoo déclare en effet: history is indeed repeating itself: since the mids a growing current is separating itself under the name post-communicative language learning. It opposes the idea that language learners are just role players in a functional world, directed by criteria of practicality, and that a method should impose the way they learn. The post-communicative trend stresses the individual needs and learning styles of the student, thus recognizing varieties of approaches, including a revalorization of insight and structure if helpful, and within a constructivist view of learning. These past few years eclectic approaches (or “revised” communicative approaches) are thus again emerging in various forms.¹¹

 

Cette longue citation permet de faire valoir l’importance d’une conception pendulaire de l’histoire de la D.L.E.. Depuis la dernière partie du 19ème siècle, chaque génération ministérielle et académique observe la chute de la souveraineté d’une méthodologie privilégiée (cinq ou six méthodologies au cours du gros siècle écoulé, soit une espérance de vie de 20/25 ans pour chaque méthodologie).

 

On prédit sous couvert de parachèvement du mouvement pendulaire de l’histoire, une chute de l’approche communicative, quelle qu’en soit la raison. Le prétexte post-communicativiste ou éclectique se résume logiquement ainsi: puisque on admet une infinitude de paramètres définissant l’objet de la D.L.E., on suppose qu’aucune réduction ne permettra une description suffisante autorisant le contrôle de cet objet par la prédictibilité de son évolution propre. L’objet est si complexe, qu’il est devenu impossible d’en isoler les divers éléments le constituant.

 

Malheureusement une des faiblesse de cet argument réside justement dans son antécédent historique. Au tournant du 17ème siècle Francis Bacon en formulait un tout analogue. Il excluait la possibilité de différencier dans leur variété les substances (biologiques ou physico-chimiques) car leurs « formes sont maintenant tellement multipliées par les mélanges et les transpositions qu ́elles sont devenues trop complexes car infinies¹². » Or malgré cette sombre augure, Lavoisier en séparant l’oxygène de l’hydrogène commencera le travail de classification des substances mise en forme, génialement un siècle plus tard, par Mendéléev.

 

Certaines pratiques en classe de L.E., sous leur forme d’exercices d’approche globale du texte par exemple, ne sont justement possibles que grâce à un processus de réduction.

La description de ces activités présentent l’avantage de fournir un modèle précis du locuteur-apprenant. Or ces activités, connues de tous les enseignants, et qu’à ma connaissance personne n’a encore remis en question, réduisent le sujet à une fonction cognitive spécifique (émettre des hypothèses.) Ce programme cognitif exige une série de catégories par lesquelles le sujet fera émerger un ordre dans son réel linguistique.

 

Conclusion
 

Nul doute que chaque enseignant se donne pour but d’éviter la passivité de ses élèves. Or dans le cadre des théories de l’apprenant actif en communication, les exercices d’hypothèses de lecture favorisent la découverte du sens par l’interaction essentielle entre le texte et l’apprenant. Cette interaction est rendue possible par la série des catégories transcendantales de la perception du sujet-apprenant. Et dans ce cas le sujet peut bien également être réduit à la fonction cognitive: émettre des hypothèses.

 

Il s’avère malaisé de reprocher à l’approche communicative un manque de centration sur l’apprenant, qui en réalité, assume à lui seul la possibilité de découverte du sens. Doit-on admettre, en suivant les orientations éclectiques ou post-modernistes, l’irréductibilité irrévocable de l’objet de la D.L.E. ?

 

En observant davantage l’histoire des sciences, force est de constater que certaines disciplines apparaissent tardivement, la mécanique des corps sans âmes précédant de beaucoup la chimie des substances regorgeant de vie. Combien de temps avant de voir enfin émerger des sciences de l’Homme ?

 

Or une science nouvelle (une discipline) se constituant, s’appuie toujours sur une réduction proposant un modèle de son objet. L’assimilation de l’objet à son modèle implique de négliger certains traits descriptifs, de choisir parmi les paramètres infinis issus autant de l’imagination subjective que du chaos du réel. Constituer une nouvelle discipline revient alors à s’extraire de l’émerveillement dans lequel nous enferme la première contemplation du monde, à quitter le regard enfantin pour entamer la lente, méthodique et patiente classification des phénomènes.

 

Notes :

P. Plusa: ‘De quelques approches intensifiant l’efficacité de l’enseignement/apprentissage multimédial intégrant du FLE et du FOS’, in :Actes du Séminaire international d’études doctorales, Prešov,1585-079X

F. Cicurel: Lectures interactives , Paris : Hachette.

Ibid.

S. Moirand: Situations d’écrit, Paris : Clé international,; cité par F. Cicurel :Lectures interactives,op.cit.

Ibid.:.158

6 L. Hjelmslev: Le langage , (trad. M. Olsen). Paris : Les éditions de minuit,

B. Malberg: Histoire de la linguistique, Paris : P.U.F.

J. Schmidt: Die Verwandtschaftsverhältnisse der indogermanischen Sprachen. Weimar :H.Böhlau.

F. Dagonet: La subjectivité, Les empêcheur de penser en rond, Paris : Les empecheurs de penser en rond/Le Seuil.

10 - J. Dubuffet: L’homme du commun à l’ouvrage, Paris : Gallimard,

₁₁W. Decoo: On the Mortality of Language Learning Methods, conférence donnée sous le titre James L. Barker lecture à Brigham Young University. Document disponible en ligne : http ://www.languagelearningproblems.net/iword%documents/Conference%paper%by%Wilffred%Decoo.doc ; consulté l

₁₂ F. Bacon: Du progrès et de la promotion des savoirs, Trad. Française, Le Dœuff, Paris : Gallimard,

 

 

 

 

 

 

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