Définition morphologique du subjonctif
Le subjonctif est un mode verbal. Un mode est un des paramètres essentiels qui permettent de classer le verbe selon sa forme (la forme du verbe est tout simplement l‘organisation des signes (lettres) qui le composent). Ces différents paramètres sont appelés des catégories morphologiques.
Étudions un premier exemple culinaire :
tu manges (1)
Nous pouvons décrire cette forme verbale de la façon suivante (c‘est à dire d‘après un certain nombre de catégories morphologiques) :
la personne : 2°, qu´on identifie par le tu et la désinence -es;
le nombre : singulier, idem que pour la personne;
la voix : active, identifiée par la forme simple du verbe alors que la forme passive se marque par l’usage de l’auxiliaire être associé au participe passé;
l‘aspect (chronologie interne) : non accompli, car la forme du verbe est simple;
le temps (chronologie externe) : présent ; identifié par la désinence –es et la forme simple du verbe;
le mode : indicatif, identifié par la racine mang- et la désinence –es.
Le nombre de ces catégories morphologiques peut varier. En effet, certaines grammaires distinguent ou non la personne du nombre ou encore l‘aspect du temps.
Si nous changeons un de ces paramètres, une de ces catégories, la forme du verbe changera en conséquence. Nous décidons par exemple de changer l‘aspect :
personne : 2° ; nombre : singulier ; voix : active ; aspect : accompli ; temps : présent ; mode : indicatif :
tu as mangé
On observe qu‘en changeant l‘aspect, la forme verbale est devenue composée (alors qu‘elle est toujours simple pour les formes du non accompli); dans ce cas c‘est l‘auxiliaire qui porte les marques de la personne, du nombre, de la voix et en partie du mode.
Remarque : Il est possible en effet de considérer le passé composé comme un accompli du présent :
Maintenant, tu as bien mangé !
Même si on définit le présent comme un seul instant, sans recourir à la notion de durée, il est encore possible d‘observer cet instant de deux points de vue différents : accompli (le verbe exprime une action terminée : on observe le dernier instant du procès) et non accompli (le procès est considéré dans son déroulement : l‘instant observé sera suivi par un autre instant). De plus, le temps de l’auxiliaire : le présent, montre bien le rapport entre passé composé et présent de l’énonciation.
En français classique jusqu‘au XVIII°siècle (dans les pièces de Marivaux par exemple), le passé composé signifie que le procès du verbe s’est déroulé dans les 24 heures qui précèdent le moment de l’énonciation : tu as mangé (sous-entendu : il y a moins de 24h). Un procès antérieur à 24h s’exprime par un passé simple : tu mangeas. Mais depuis qu’il est entré progressivement en concurrence avec le passé simple (depuis le XII° siècle), le passé composé est également devenu un temps qui situe le procès totalement dans le passé.
Reprenons notre exemple (1) et observons les changements de forme qui résultent des variations modales :
Infinitif : manger; Participe : (en) mangeant; Impératif : mange ;Subjonctif : que tu manges
Remarque : La grammaire contemporaine ne considère pas le conditionnel (tu mangerais) comme un mode indépendant mais comme un temps de l‘indicatif. En effet, le conditionnel n‘a pas de forme propre, il utilise celles de l‘indicatif (la racine du futur – mang-(e)r – et les terminaisons de l‘imparfait – ai-s – ). Le conditionnel n‘a pas non plus de modalité propre, c‘est à dire qu‘il est possible d‘exprimer la modalité de condition sans utiliser le conditionnel :
- Si vous preniez une aspirine, vous n‘auriez plus mal à la tête.
- Prenez une aspirine, vous n‘aurez plus mal à la tête.
- En prenant une aspirine, vous n‘aurez plus mal à la tête.
(exemples tirés de Riegel, Pellat, Rioul, p.288)
Puisque le conditionnel n‘a pas de caractéristiques propres, ni forme ni modalité, il n‘est pas considéré comme un mode distinct mais comme un futur du passé de l‘indicatif.
Il y a donc cinq modes verbaux parmi lesquels on peut distinguer :
- Les modes impersonnels : infinitif et participe (gérondif inclus), qui ne portent pas la marque de la personne :
Il vient en mangeant--------------tu viens en mangeant
On constate ici que l‘actant du procès, la personne qui mange : soit il soit tu, n’influence pas la forme du verbe. Le mode du verbe (ici le participe) est alors impersonnel.
Mangez !---------------Mangeons !
2°p. du pluriel------------1°p. du pluriel
On peut séparer ces modes en modes personnels complets (indicatif et subjonctif) et modes personnels partiels (impératif). Les premiers possèdent les trois personnes et les deux nombres (3*2 = 6 formes du verbe pour chaque temps), alors que l‘impératif ne possède que la première personne du pluriel et la deuxième personne (1+(2*1) = 3 formes pour chaque temps). Comme la distinction de ces personnes est souvent problématique (à l‘écrit et davantage à l‘oral), la charge distinctive est essentiellement assurée par le pronom personnel :
Que je mange---------qu‘il mange
1°sing.----------------3°sing.
Il nous reste donc deux modes personnels complets : l’indicatif et le subjonctif. Il nous faut donc distinguer ces deux modes, toujours du point de vue morphologique. En fait l’indicatif possède le système temporel le plus complet. Il est le seul à pouvoir situer le procès dans les trois époques (passé, présent et futur). Le mode indicatif possède 10 tiroirs temporels – conditionnel inclus-.
Le subjonctif quant à lui, est plus limité en formes temporelles, il ne comporte que quatre temps (qu’on peut opposer en forme simple – composée, ce qui correspond à l’opposition d’aspect accompli - non accompli) :
que je mange-------que j’aie mangé ; que je mangeasse----------que j’eusse mangé
L’époque future peut cependant être dénotée par le subjonctif présent :
Je veux que tu viennes demain
Les formes de l’imparfait et du plus-que-parfait, très employées à l’époque classique ne l’étaient essentiellement que pour des raisons de concordance des temps qui demande une reproduction du rapport chronologique entre le verbe de la proposition principale et celui de la (ou des) proposition(s) subordonnée(s) :
J’exige qu’il vienne demain - j’exigeais qu’il vînt demain
Présent ------présent - imparfait-------imparfait
J’exige que tu aies terminé - j’exigeais que tu eusses terminé
Présent----------passé - imparfait---------plus-que-parfait
Au XX°siècle les formes de l‘imparfait et du plus-que-parfait ne se rencontrent que dans les manuels de grammaire, dans quelques discours politiques (ceux de de Gaulle par exemple) et dans quelques romans. En général ces formes n‘existent plus dans l‘usage courant. Cependant, mon expérience de locuteur m‘a donné l‘occasion d‘utiliser spontanément - et à ce jour une seule fois - l‘imparfait du subjonctif (en parlant d‘un chien alors que nous étions dans une voiture) :
j‘ai eu peur qu‘il ne traversât
Sous le coup de l‘émotion j‘ai appliqué la règle de la concordance des temps :
j‘ai peur qu‘il ne traverse - j‘ai eu peur qu‘il ne traversât
présent-------------présent – passé composé----------imparfait
En fait dans pareil cas, l‘usage moderne n‘applique pas cette règle de la concordance :
j‘ai peur qu‘il ne traverse - j‘ai eu peur qu‘il ne traverse
présent-----------présent – passé composé---------présent
Dans la langue classique, l‘imparfait et le plus-que-parfait du subjonctif exprimaient une éventualité, ils ont été remplacés par le conditionnel présent et passé :
L‘eusses-tu cru ? -------------L’aurais-tu cru ?
Plus-que-parfait (Sub) ------conditionnel passé (Ind)
Ils étaient également employés dans les systèmes hypothétiques pour exprimer un irréel du passé, ils ont été remplacés par une combinaison de temps de l‘indicatif :
S‘il fût venu, elle eût été heureuse---------------s’il était venu, elle aurait été heureuse
+que parfait (Sub) ---+que-parfait (Sub) ---- +-que-parfait (Ind)--conditionel passé(Ind)
Conclusion :
A la question : qu‘est-ce que le subjonctif ? nous pouvons donc répondre dans un premier temps qu‘il s‘agît d‘une catégorie morphologique du verbe (catégorie verbale).
Une catégorie morphologique est un concept empiriste qui donne une description formelle très précise du verbe; la précision augmente en raison du nombre de catégories. On dénombre suivant les nomenclatures environ 6 catégories dont celle du mode.
Il existe cinq modes différents, chaque mode est soit impersonnel soit personnel et possède un nombre de temps qui lui est propre. Le subjonctif est un mode personnel complet qui possède historiquement quatre tiroirs temporels dont deux seulement sont encore vraiment actifs : le présent et le passé.
L’indicatif et le subjonctif sont les seuls modes personnels complets. Ils sont donc proches l’un de l’autre du point de vue de la diversité de leur morphologie. Cette conclusion sur la forme aura certainement une répercussion dans le domaine sémantique : en fait, on ne définira vraiment la fonction sémantique du subjonctif qu’en l’opposant à l’indicatif.
Bibliographie :
- Riegel, Pellat, Rioul, Grammaire méthodique du français, Presse Universitaire de France, Paris, 1997
- Coïaniz, Allouche, Grammaire du français langue étrangère, Université Paul Valéry, Montpellier, 1997
- Détrie, Masson, Verine, Pratiques textuelles, Université Paul Valéry, Montpellier, bulletin de l’association des professeurs de francais année 11/2001 numéro 38 ISSN 1212-1657