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Le vocabulaire de la pandémie

23. 11. 2021

Comment le Covid et la crise sanitaire ont-ils modifié notre façon de parler ou fait émerger des mots inconnus ou inventés ? Et que disent-ils de cette période ? Questions posées à Agnès Steuckardt, spécialiste de l'analyse du discours, enseignante à Montpellier, un an après le premier confinement.

Confinement, cas contact, cluster, distanciation sociale... En un an, le Covid-19 a bouleversé notre quotidien et investi notre langage. Des mots que l'on ne connaissait pas, ceux qui ont changé de sens, d'autres inventés pour décrire une situation inédite. Que disent-ils de la crise sanitaire et sociale ? Entretien avec Agnès Steuckardt, professeur de linguistique française et spécialiste en analyse du discours au sein du laboratoire Praxiling de l'université Paul-Valéry de Montpellier.

Quels sont les nouveaux mots les plus utilisés depuis le début de l'épidémie ?

Bien évidemment le Covid-19, utilisé très massivement. C'est un néologisme entré dans la langue et désormais enregistré dans le dictionnaire. Ensuite épidémie, pandémie, et avec eux le vocabulaire savant. C'est le plus évident et en même temps le plus approximatif.

Nous sommes tous plus ou moins devenus des épidémiologistes distingués et donc nous parlons sans problème de R0, de variants. Nous manions les noms de marques de vaccins. Nous sommes comme des petits savants. C'est un petit vernis dans notre langage courant. 

Après, pour notre vocabulaire de tous les  jours, ce sont plutôt les mots comme attestation, comme confinement qui apparaît au mois de mars 2020 puis le déconfinement en mai. Puis le reconfinement : c'est intéressant de voir que ça fonctionne bien, sans qu'on ait besoin de l'expliquer ou de mettre des guillemets. C'est complètement dans le sens de la langue, leur usage suit tout à fait notre vécu. Déconfinement est entré dans le dictionnaire, ces mots se sont en quelque sorte institutionnalisés. 

Dans notre quotidien toujours, le distanciel. Tout d'un coup, l'ensemble de la population a découvert le télétravail, qui existait mais qui n'était pas aussi développé. Et puis, ce qui va  avec : les visioconférences, Zoom avec des petites innovations du type Zoomapéro, skypéro.

On a vu apparaître tout un petit vocabulaire, une créativité aussi, du type les Coronaparties. Les vaccins aussi ont donné lieu à cette effervescence linguistique, comme vaccinosceptique, qui existait déjà, mais qui a pris de l'ampleur. Et puis des formations plus fantaisistes : vaccinophobe ou vaccinophile, vaccinodrome

Il y a eu la nécessité de créer des mots qui accompagnent notre vie ?

Oui,  bien sûr. Il y a un certain nombre d'expressions qui émergent. Comme la distanciation sociale, une expression qui au départ a été  employée comme ça, mais qui au final fait réfléchir sur tout ce que ça  implique. Comme non-essentiel qui au départ a été imposé dans nos attestations dérogatoires. Et finalement aujourd'hui, on voit apparaître la formule "dit" non-essentiel ou "non-essentiel" mis entre guillemets parce que si on vous  jette à la figure que vous êtes non-essentiel, c'est assez violent. 

Ce qu'il faut souligner aussi c'est que des mots comme Ehpad ou soignant, qui étaient des mots très présents dans la période du premier confinement, le sont beaucoup moins. Les applaudissements au balcon, tout ça, c'est fini. Il y a une forme de violence dans ce silence. Parce qu'eux vivent la violence de l'épidémie au quotidien et au fond, c'est une page qu'on a tournée. On est passé à autre chose.

Que disent ces nouveaux mots de la période que l'on traverse ?

Un certain nombre de mots ont été imposés par le gouvernement. Une façon de penser qui est formatée : attestation de sortie dérogatoire, non-essentiel. Également la métaphore de la guerre : la première ligne, la deuxième ligne, etc. C'est une façon de penser la crise qui est imposée et critiquable. Une épidémie n'est pas  une guerre. C'est une représentation des choses sur laquelle il faudrait qu'on arrive à prendre un peu plus de distance. 

Il y a aussi des petites formules que l'on voit dans nos échanges quotidiens, du  genre "Prenez soin de vous". Ça, c'est une façon d'installer de nouvelles relations sociales assez complexes, parce qu'au fond qu'est ce que ça veut dire ? Ça veut dire "attention parce que je ne voudrais pas que  vous me contaminiez". Ce n'est pas fondamentalement altruiste. 

Moi, ce qui m'intéresse particulièrement, c'est ce moment où l'on commence à mettre en question des expressions qui au départ sont passés tout naturellement. Comme, j'y reviens, distanciation sociale et non essentiel. À quel moment on a commencé à dire "non, attendez, ça ne va pas, on ne peut pas dire. C'est trop violent !" À quel moment il y a eu cette prise de conscience ?

Pour mettre les choses au point une fois pour toutes, dit-on le ou la Covid ?

C'est entré dans le dictionnaire sous les deux genres. Donc, on a le choix, mais en vérité, c'est un faux problème. Dire "la" Covid-19, c'était une idée un peu saugrenue d'Hélène Carrère d'Encausse, de l'Académie française. Une sorte d'intuition selon laquelle, comme c'est une maladie, il faudrait que ce soit au féminin. Mais le mot s'était déjà imposé au masculin.

Avoir une décision autoritaire, complètement venue d'en haut qui nous enjoindrait de dire "la Covid-19", ça n'a pas marché. "Le Covid-19" est resté notre usage habituel. C'est un exemple qui montre que la langue est gérée par les utilisateurs et non par des institutions.

https://www.francebleu.fr/infos/societe/le-vocabulaire-de-la-pandemie-ce-que-disent-les-mots-covid-de-nos-maux-1615849382