L'affaire Châteauneuf - 1633
25 février 1633
Le garde des sceaux Charles de L'Aubespine, Marquis de Châteauneuf, est emprisonné...
Charles de L'Aubespine avait été nommé Gardes des sceaux en 1630 après la Journées des Dupes.- remplaçant Marillac impliqué dans la cabale menée par la Régente contre Richelieu.
http://racineshistoire.free.fr/LGN/PDF/L_Aubespine.pdf
https://gw.geneanet.org/arnac?lang=fr&n=de+l+aubespine&oc=0&p=claude
Louis XIII lui reprit les sceaux le 25 février 1633. Les sceaux seraient confiés à Séguier le 28 février 1633.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_de_L%27Aubespine
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_S%C3%A9guier
Le déroulement des faits :
Le Mercure François - (tome 19 : 1633):
"Le commencement de cette année se passa sans autre chose de considération, sinon un Edit du Roy portant création et établissement d'une Cour de Parlement en la ville de Mets, et un règlement pour la Milice et la Gendarmerie de France, afin d'empêcher les grands désordres qui se commettaient sur le plat pays par les gens de guerre. Il y eu bien quelques désordres à la Cour, mais seulement au désavantage du Marquis de Châteauneuf, lequel fut arrêté prisonnier le 28 février sur le huit heures du soir, et envoyé à la citadelle d'Angoulême où il est encore. Messire Pierre Séguier, Président en la grand'Chambre au Parlement de Paris, fut nommé Garde des Sceaux en sa place par sa Majesté. Le Sieur Bullion fut pourvu de la charge de Garde des Seaux de l'Ordre du Roy, que ledit Sieur de Châteauneuf avait aussi. [...]
Ce changement donna sujet à plusieurs de songer à leur consciences. Le sieur de Hauterive frère dudit sieur de Châteauneuf ayant appris que son frère était arrêté s'enfuit promptement la nuit même en Hollande : ce qui donna sujet de soupçonner qu'il eut quelque chose de plus grande conséquence dans cette affaire. La Marquis de Luneville leur neveu, et le Chevalier du Jars furent envoyés à la Bastille."
http://mercurefrancois.ehess.fr/picture.php?/26848/category/134
Dans ses Mémoires, contrairement à la version du Mercure François qui suppose que l'arrestation eu lieu le 28 février, Richelieu évoque la date, encore retenue aujourd'hui, du 25 février. Le cardinal présente aussi dans le détail les personnages impliqués dans l'arrestation: "Sa Majesté, étant à Saint-Germain-en-Laye, lui envoya, le 25 février, redemander les sceaux, et ensuite, le fit arrêter prisonnier par le sieur de Gordes, capitaine des gardes de son corps, et le fit conduire le lendemain, par le sieur de Lamont, enseigne de ses gardes écossaises, dans son château d'Angoulême. Sa Majesté honora de cette charge le sieur Séguier. (Mémoires. Tome XIII. p.53)
Guillaume de Simiane :
capitaine de la Garde écossaise, obtint en 1615 l'érection de la seigneurie de Gordes en marquisat
M. Borel d'Hauterive, Annuaire de la noblesse de France et des maisons souveraines de l'Europe, Volume 17, p. 228
cité par : https://fr.wikipedia.org/wiki/Famille_de_Simiane#cite_ref-3
sieur de Lamont:
probablement lieutenant, au moins officier de la Garde écossaise, un des fils de Henry de Lamont.
Mais sans doute une erreur de la part de Richelieu car David Lamont est mort à Ostend en 1604,
Georges Lamont est mort en Hollande en 1629.
http://www.clanlamontfrance.fr/2024/06/11/les-regiments-ecossais-en-france-et-en-europe-quand-ils-sont-lies-au-clan-lamont/
l'Encyclopédie de Diderot -d'Alembert retenait déjà la date du 25 février mais introduisait un nouveau personnage dans l'affaire et, décomposait l'événement en deux parties bien distinctes:
Le 25 Février 1633, le sieur de la Vrilliere, secrétaire des commandemens, eut ordre du roi d’aller retirer les sceaux des mains de M. de Châteauneuf, lequel remit aussitôt le coffre où étoient les sceaux ; & M. de la Vrilliere l’ayant remis au roi, retourna demander à M. de Châteauneuf la clé du coffre, qu’il avoit pendue à son cou : il fut ensuite conduit à Angoulesme.
https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Diderot_-_Encyclopedie_1ere_edition_tome_7.djvu/549
Louis Phélypeaux, seigneur de La Vrillière, marquis de Châteauneuf et Tanlay (1678), vicomte de Saint-Florentin, est un homme d'État français né le 10 avril 1599 et mort le 5 mai 1681 à Bourbonne-les-Bains. Il est le fils de Raymond Phélypeaux d'Herbault (1560 - 1629), seigneur d'Herbault et de La Vrillière, trésorier de l'Épargne en 1599. Conseiller du roi de France Louis XIII en ses Conseils ; il est pourvu de la charge de secrétaire d’État le 16 juin 1621 puis de celle de prévôt et maître des cérémonies de l’ordre du Saint-Esprit du 1er avril 1643 à 1653.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Ier_Ph%C3%A9lypeaux_de_La_Vrilli%C3%A8re
L'encyclopédie donne plus de détails sur la tradition de porter les clés autour du clou :
Les rois de la premiere & de la seconde race n’avoient qu’un seul sceau ou anneau, dont le chancelier ou le garde du scel royal étoit dépositaire. Pour le conserver avec plus de soin, & afin que personne ne pût s’en servir furtivement, il le portoit toujours pendu à son cou : cet usage avoit passé de France en Angleterre. En effet, Roger vice-chancelier de Richard I. roi d’Angleterre, ayant péri sur mer par une tempête, on reconnut son corps parce qu’il avoit le scel du roi suspendu à son cou.
garde des sceaux de les porter à son cou ; il n’en a plus porté que les clés qu’il a toûjours sur lui dans une bourse.
Depuis que l’on se servit en France de sceaux plus grands, & que le nombre en fut augmenté, il ne fut pas possible au chancelier ouhttps://enccre.academie-
Dans sa présentation de l'événement, Jean-Chtistian Petitfils, tout en reprenant la date apparaissant dans le récit de Richelieu, élabore une "synthèse" de la distribution des personnages présents dans les deux variantes : (p.659) :
"Le 25 février 1633, Louis envoya La Vrillière reprendre les sceaux à Châteauneuf, puis le fit arrêter par son capitaine des gardes, Guillaume de Simiane, marquis de Gordes."
Comme l'avait déjà fait Richelieu ("ensuite"), Jean-Chtistian Petitfils dinstingue lui aussi deux étapes différentes composant l'événement en deux étapes distinctes ("puis")
Les causes :
Le Mercure François reste mystérieux quant aux causes des arrestations de Château neuf et ses complices: "Ce qui donna de soupçonner qu'il y eu quelque chose de plus grand en cette affaire."
http://mercurefrancois.ehess.fr/picture.php?/26847/category/134
En déplaçant le moment de l'arrestation de Châteauneuf au 28 février, date où Séguier est nommé Garde des sceaux, la narration du Mercure gomme toute la séquence pendant laquelle Châteauneuf dans un premier temps, hésite, déchiré entre deux instances morales en conflit, il est finalement arrêté le soir. Puis, dans un second temps, les sceaux disparaissent pour ne réapparaitre qu'après le décret portant sur la police et la forme de l'alphabet qu'exige la rédaction des publications officielles.
Richelieu donne une longue explication :
" dès que [Châteauneuf] il se mit émanciper par l'autorité de sa charge, et en état d'agir seul, lors ses inclinations, qu'il avait tenues cachées auparavant par respect et par crainte, commencèrent à paraitre. Il se jeta dans les cabales de la cour, particulièrement en celles des dames factieuses, dont la principale était la duchesse de Chevreuse, l'esprit et la conduite de laquelle avait été souvent désagréable au roi, comme non-seulement n'ayant jamais manqué à être de toutes les mauvaises parties qui avaient été faites contre son service, mais même ayant quasi toujours été un très dangereux chef de parti. Son intelligence avec elle passa si avant qu'il s'intéressa dans ses passions dans l'Angleterre même, en laquelle elle avait amitié avec le compte de Holland, et ensuite crédit avec toute sa cabale, ce qui produisit de mauvais effets à cet Etat, comme nous avons dit les années passées. Le dit Châteauneuf s'y attacha aussi, et, sans considérer qu'en la charge où il était il devait bien moins que nul autre entretenir ses pratiques dans une cour étrangère, il y écrivait continuellement et faisait om faisait faire par ses correspondants tous les mauvais offices qu'il pouvait au sieur Creston, grand trésorier d'Angleterre, parce que le comte de Holland était son ennemi, ne considérant pas que c'était celui seul qui tenait le parti du Roi en ce pays-là, qu'il gouvernait son maître, et que c'était grandement préjudicier au service du Roi que de l'offenser. Mais tout cela ne le touchait point, car il alla même jusqu'à ce point que d'essayer de discréditer l'ambassadeur du Roi, le rendre désagréable à la Reine d'Angleterre, et par elle au Roi son mari, au contentement duquel si quelque affaire se terminait en France au conseil de sa Majesté, il en donnait l'avis de delà quelques temps auparavant, disant qu'il la ferait passer de la sorte, en dérobant le gré qui était dû au Roi pour se l'attribuer, et ôtant encore l'entremise de son ambassadeur.
Le Roi d'Angleterre, qui eut avis de cette cabale, ne l'eut pas agréable, témoigna au comte de Holland, le mécontentement qu'il en avait, la dissipa entièrement, et maintint son grand trésorier contre tous ses ennemis.
Sa Majesté l'ayant fait arrêter prisonnier et envoyer à Angoulême, envoya aussi quant et quant à la Bastille le sieur de Leuville son neveu et le chevalier de Jars son confident, qui, à quelques mois de là, fût condamner à avoir la tête tranchée pour la part qu'il avait prise en la cabale d'Angletere et avoir traité d'y faire passer la Reine-Mère et Monsieur; mais sa Majesté lui faisant grâce, commua sa peine de mort en une prison perpétuelle; le sieur de Hauterive son frère se sauva à la faveur de la nuit, et se retira en Hollande.
...
Madame de Chevreuse,, qui était la cause de la perte dudit Châteauneuf, fut aussi quelques mois après éloignée de la cour, le Roi commandant au duc de Chevreuse, son mari, de l'envoyer en Touraine, dans une maison qui était au feu duc de Luynes, où elle demeurerait jusqu'à ce qu'il lui fut agréable de la rappeler" (Richelieu, Mémoire, T.XIII pp. 54-55-56)
Simone Bertière - les deux régentes - Paris 1996 p. 293. elle laisse entendre que Chateauneuf est l’instigateur principal du complot de 1633: A propos du commandeur de Jars, enfermé à la Bastille puisque « compromis en 1633 dans les intrigues de Châteauneuf et gracié sur les marches de l’échafaud»
Pour Jean-Christian Petitfils, c'est dans le cadre de la sédition de Marie de Médicis et de Gaston que s'explique la conspiration de Châteauneuf :
« Le cardinal attisait sa suspicion envers le garde des Sceaux, Mme de Chevreuse et l'entoutage de la reine... Par une dépêche de Fontenay-Verneuil, ambasssdeur de France à Londresn le monarque apprit que la reine Henriette, sa sœur, avait imprudemment annoncé la mort de son Eminence et son remplacement par Châteauneuf...Les ramifications de la conspiration s'étendaient donc jusqu'à l'étranger...Dans sa correspondance, on trouva des billets galants des anciens amis ou amants de la duchesse, comme Lord Holland, Montagu ou le commandeur de Jars qui tous étaient de la conspiration. On sut que l'impénitente Chevrette avait averti Charles IV de Lorraine que le roi allait s'emparer de la forteresse de Moyenvic, ce qui expliqua a posteriori la résistance qu'on y avait rencontrée. Des lettres plus prosaïques de Marie de Rohan se moquaient du cardinal et de la cour qu'il lui faisait ainsi qu'à la reine (c'est du moins ce qu'elle prétendait)...Châteauneuf confessa toutes les folies que l'amour lui avait fait faire. » (J-C. Petifils. Louis XIII. p.659-660)
la connaissance commune contemporaine suppose que Châteauneuf est emprisonné pour trahison (accusé d'espionnage au profit de Charles IV de Lorraine.)
Jules Michelet affirme que Richelieu le faisait espionner par un valet de chambre de la reine, un nommé Laporte: "va-t-il chez la Reine, souvent, y reste-t-il tard ? Et de sa relation avec la Marquise de Chevreuse."
Simone Bertière (Les reines de France au temps des Bourbons - les deux régentes - p.285) reprend cette thèse de l'influence primordiale de Madame de Chevreuse dans l'affaire Châteauneuf : "[Madame de Chevreuse] venait de retourner le garde des sceaux, Châteauneuf, dont Richelieu tenait pourtant la servilité pour acquise, puisqu'il présidait les tribunaux d'exception qui avaient envoyé à l'échafaud Marillac et Montmorency. Il portait beau, il avait conservé, en dépit de sa cinquantaine bien sonnée, la prétention de plaire aux dames. Il était prêt, pour l'amour de la séduisant duchesse, à toutes les folies. Elle commença par lui soutirer des informations qu'elle communiqua au duc de Lorraine. Après quoi elle le convainquit de changer de camp, avec d'autant moins de peine qu'il crut soudain y trouver son intérêt. [...] Le garde des sceaux se verrait bien [...] succéder [à Richelieu] "
Devenu suspect auprès du cardinal de Richelieu après le procès des maréchaux de Marillac et de Montmorency, il rendit les sceaux le 25 février 1633, fût arrêté et conduit au château d'Angoulême où il demeura dix ans prisonnier. Les sceaux lui furent rendus en 1650, il les garda jusqu'en 1651 qu'il se retira des affaires.
"On n'a pas su bien certainement la cause de sa disgrace."
Encyclopédie méthodique : histoire. 1784. p.473
https://books.google.cz/books?
Comme le fait déjà J.C. Petitfils quand il prétend révéler les causes secrètes de l'assassinat d'Henri IV, la version commune contemporaine propose de "chercher la femme" pour expliquer dans son fond cette disgrâce :
" il ne tarde pas à trahir Richelieu pour les beaux yeux de Mme de Chevreuse2 : il lui révèle les projets de Louis XIII sur la forteresse lorraine de Moyenvic, et la duchesse en informe aussitôt le duc Charles IV (1633). Le cardinal lui ôte alors les sceaux pour les donner à Séguier3, et le fait jeter dans une prison du château d'Angoulême où il reste dix ans, tandis que Mme de Chevreuse est exilée en Touraine. "
https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_de_L%27Aubespine
J.C. Petitfils continue (p.652) : " Dans sa correspondance on trouva des billets galants des anciens amis ou amants de la duchesse...qui tous étaient de la conjuration [contre Richelieu].
L'anecdote de la clef du coffre accrochée à un collier est attribuée à Marillac chez J.C. Petitfils, et à la page 522, Petitfils remarque que Châteauneuf remplaçant Marillac, "est réputé pour son intégrité."
La thèse de J.C. Petitfils manque de cohérence et n'est guère convaincante. On ne voit pas l'intérêt pour Châteauneuf de conserver auprès de lui les billets des amants de de Chevreuse. On pourrait imaginer une tentative de chantage, mais comment organiser un coup d'Etat avec des complices antagonistes, prêts à le poignarder dans le dos à la moindre occasion plutôt que de céder à son chantage ? Ces billets ont tout l'air d'éléments factifs implantés par les vrais conspirateurs pour faussement incriminer leurs opposants. D'autre part, la réputation d'intégrité dont bénéficie Châteauneuf et que lui reconnait J.C. Petitfils, n'est certainement pas usurpée puisque la régente Anne d'Autriche lui reconfiera les sceaux en 1650. Comment imaginer la Régente accorder toute sa confiance à remplir les plus hautes fonctions à un personnage qui aurait déjà trahi l'Etat et conspiré contre l'autorité royale ?
On peut sans doute éclairer ces obscurités des causes historiques par l'hypothèse d'un coup d'état mené par Louis XIII.
Il ne pouvait mener à bien son projet, sans exiger de leur Garde, la remise des Sceaux. Faute d'être complice, Charles de L'Aubespine se montra fidèle à sa fonction et à l'Etat qu'il servait et contre lequel conspirait le Francorum Rex. Les garants de la continuité des intérêts de l'Etat finirent par le récompenser de son courage d'incorruptible. Il fut libéré à la mort du second Louis XIII, en 1643, et rétabli dans ses fonctions en 1650-51.
L'Encyclopédie nous a en fait révélé la raison de son emprisonnement, qui ne fait aucunement mystère :
Conclusion :
- Richelieu confirme, sans s'y étendre, l'arrestation en deux étapes : " le 25 février, redemander les sceaux, et ensuite, le fit arrêter prisonnier" : Châteauneuf est envoyé à Angoulême, non pas le matin, dès la première visite des gardes, mais le soir ou le lendemain, pour la raison qu'il a refusé de rendre les sceaux au roi ! Du moins, pris dans sous la pression de deux instances morales antagonistes, la fidélité à sa fonction de Garde des sceaux s'opposant à la fidélité à son roi. Il trouva une solution résolvant le conflit qui le déchirait : il rendit des sceaux inaccessibles, enfermé dans un coffre dont il restait le seul à posséder la clé.
Le mystère n'est pas tant de savoir pourquoi Châteuneuf fut emprisonné, mais pourquoi a-t-il faussement refusé de rendre les sceaux au roi ? Quel était le conflit qui le déchirait. Un coup du "roy de France" au dépend du "Francorum rex" est une hypothèse qui sied parfait pour une explication du comportement "héroïque" de Charles de L'aubespine !