À noter que l’exercice est assorti d’éléments familiers ou neutres cohérents avec on, tant sur le plan de la syntaxe (Qu’est-ce que vous faites ? au lieu de Que faites-vous ? ) que du vocabulaire (sympa, restau, boîte), et typiques du parler de la jeunesse française d’aujourd’hui avec laquelle nos étudiants espèrent communiquer.

Et si le manuel de classe choisi ou imposé n’offre aucun exercice pertinent, il est facile d’en créer en utilisant on à la place du nous habituel, comme dans l’exercice structural élémentaire suivant :

– Jennifer, tu as fini ?
– Oui, j’ai fini.
– Et toi, Susan ?
– J’ai fini aussi.
– Alors toutes les deux…?
– On a fini.

On remarquera que, quel que soit le contexte d’apprentissage et les documents utilisés, les solutions suggérées ci-dessus ont toutes en commun le respect de l’usage réel du français par les francophones.

6. Conclusion

Le survol historique et surtout l’état présent de l’emploi des pronoms on 1PL présentés ci-dessus démontrent clairement que le remplacement de nous par on est presque total en français oral contemporain, reléguant nous aux domaines formels du discours et à la langue écrite. Cette réalité, qui n’est ni anecdotique, ni récente, ni artificielle, devrait a priori être reconnue partout dans la francophonie, s’il est vrai qu’une langue se définit par l’usage qu’en font ses locuteurs.

Or, il y a parfois loin de la réalité à la perception, car

la soumission du français à la variation ne correspond pas forcément à l’image que ses locuteurs ou que ses apprenants s’en font. En France, en particulier, c’est la variété écrite, et particulièrement littéraire, de la langue qui a forgé chez ses usagers les représentations dominantes de la langue, ou norme

Cuq et Gruca 2005 : 81

L’oral est souvent l’objet de perceptions négatives, à cause de ses connotations populaires. Dans le cas précis de 1PL, il peut aussi y avoir une certaine hésitation à utiliser ce on parfois ambigu (sens restreint ou non ?), alors que les choses étaient claires tant qu’on se limitait à l’opposition on (non restreint)/nous (restreint). Ainsi, l’enseignement traditionnel de la grammaire est basé sur la langue écrite, surtout littéraire, et sur une terminologie grammaticale vieille de deux millénaires, et il est caractérisé par le développement systématique des compétences langagières dans le contexte prescriptif et moral du « bon » usage (l’écrit), parfaitement illustré dans l’ouvrage idoine de Grevisse. On comprend alors que l’auteure du dernier site mentionné ci-dessus commence sa leçon avec l’avertissement : « The French you learn is not always the French we speak in France ».

Cette approche prescriptive est légitime dans les milieux francophones, où la langue orale est déjà largement acquise quand les enfants commencent l’école et où on a surtout besoin des ouvrages de grammaire pour améliorer la compétence écrite. Elle l’est beaucoup moins en contexte FL2, où tout est à apprendre, à commencer par la communication de base, orale ou écrite. Et cette communication inclut différents niveaux de formalité: présentations, entrevues, réunions, conversations téléphoniques, contacts familiers, entre autres, qui ne sont pas souvent pris en compte par les matériels méthodologiques.

Il convient donc de réorienter notre enseignement en fonction des réalités du français ordinaire décrites par les linguistes, aussi bien pour nous/on que pour les autres variables évoquées ici. Cela ne signifie pas la condamnation des formes de prestige, mais seulement leur relégation à une place secondaire, cohérente avec le statut marginal qu’elles occupent en français contemporain. C’est uniquement à ce prix que l’on pourra faciliter le contact de nos étudiants, surtout les plus avancés, avec l’univers francophone qu’ils ont choisi d’explorer.