Jdi na obsah Jdi na menu
 


Rex -28.6.25

La titulature des souverains des pays de France, du „rex Francorum“ au „Roy des François“ (680 – 1790)

Résumé –

Cette étude cherche à identifier le premier souverain utilisant le titre de « roi de France » en français. Nous avons rassemblé dans un tableau chronologique les légendes inscrites sur les sceaux royaux en nous référant aux inventaires de Natalis de Wailly (1843), Louis-Claude Douët d'Arcq (1863) et leur fiche numérique mise en ligne par Sigilla.org. Nous chercherons à décrire le plus précisément possible les légendes du titre utilisé par le souverain pour vérifier si elles correspondent aux affirmations de la connaissance commune construisant le « roman national ». Cette étude cherche à déterminer si les différentes formes allant du attendues : « rex Francorum », « rex Franciae » et « roy de France » correspondent à une évolution « naturelle » des usages linguistiques, ou si elles reflètent des changement des rapports de forces politiques au sein du royaume. Dans cette dernière hypothèse, nous verrons quel est le contexte historique dans lequel apparaît le titre de « roy de France » et quel est le projet politique qu'il implique.

Content -

This study endeavors to identify the first ruler to style himself « roi de France » in the French vernacular. To this end, we have compiled a chronological register of the legends appearing on royal seals, drawing on the inventories of Natalis de Wailly (1843) and Louis Claude Douët d’Arcq (1863), together with their digital counterparts published on Sigilla.org. By describing these legends with the greatest possible precision, we assess the validity of widely accepted claims that sustain the French « national narrative. » The inquiry further asks whether the successive formulas—rex Francorum, rex Franciae, and roy de France—represent a « natural » linguistic evolution or, rather, signal shifts in the kingdom’s internal political power relations. In the latter case, we shall investigate the historical conjuncture in which the vernacular title roy de France first appears and the political programme its adoption implies.

0- Introduction : exposé de la problématique, de la méthode et du plan de l'article

«Notre roman national peut-être romancé, exagéré ou fantasmé, mais il est notre roman national.»1

Dans le cadre d'un débat sur l'identité nationale, le sixième président de la Cinquième République (2007-2012) laissait entendre que l'exactitude et la précision ne sont pas des priorités de l'enseignement de l’histoire en France.

Au contraire, afin d'agréger des membres hétérogènes au sein d'une grande nation cohérente, l'objectif de cet enseignement est de construire des croyances communes partagées par tous les citoyens. Peu importe que ces croyances fussent romancées, exagérées ou fantasmées.

Le contenu de l'enseignement devient dès lors une vague doxa, suffisamment floue et polymorphe pour s'adapter aux gré des besoins des idéologies en vigueur. Selon les exigences du moment, les Français pourront revendiquer comme ancêtres, tantôt des Francs, tantôt des Gaulois…

Cette courte étude montrera comment le manque systématique de précision, est devenu aujourd'hui, un obstacle infranchissable quand il s'agit de déterminer, simplement, quel souverain est le premier à porter le titre (en français) de « roi de France. » 

Certes, en abordant la thématique des différents titres portés par les souverains « français » dans l'histoire, l'exigence d'exactitude n'a pas toujours été exclue du champ des discussions académiques. En 1885, dans une publication de l’école des chartres, Julien Havet s’évertuait à éclaircir un malentendu à propos du titre porté par les monarques mérovingiens. Son étude conclut que : « le titre de rex Francorum vir inluster n’appartient donc pas à la période mérovingienne » (Havet. 1885 :145)

Mais la première partie de cette petite étude montrera que la doxa, la connaissance commune contemporaine, soit les usages les plus répandus et les plus communément admis, évitent systématiquement de poser la question de l'identité du premier « roi de France » et se contentent, le plus souvent, de présenter les souverains en les regroupant en dynasties sans se soucier de leurs titres : « Mérovingiens, Carolingiens, Capétiens (Capétiens directs, Valois, Bourbons, Orléans) »2

Nous verrons comment l'article de Wikipédia donne un résumé assez élaboré de l'ensemble des titres des souverains à travers l'histoire. Mais cette première approximation mêle les usages populaires aux titulatures officielles et ne s'astreint pas à présenter le titre en langue originale. Il manque ainsi le passage crucial de l'abandon du latin et de l'apparition du premier titre en français.

La deuxième partie de cette étude se propose d'élaborer un tableau, précisant le plus exactement possible, les dates du règne et, en langue originale, les titres portés par les souverains au sud de la Manche. Pour éviter l'anachronisme nationaliste, faut-il davantage évoquer les Gaules ou la France? En effet, il n'est en rien intuitif d'admettre que le « roi de France » parlant latin puisse se désigner comme « rex Franciae » (ou « rex Francie ») et abandonner volontairement son titre sur les Gaules ou les Gaulois.

Accepter la dichotomie d'un premier « roi de France » régnant sur un pays qui n'est pas « la France » ne pose aucun problème à la logique du roman national : « Clovis Ier...considéré comme le premier roi de France...à cette époque, la France ne s'appelle pas d'ailleurs «la France ». »3

Pour construire la typologie des titres des souverains, je me référerai aux inventaires des sceaux établis par Natalis de Wailly, Sur une collection de sceaux des rois et des reines de France (1843); par Louis Claude Douët d'Arcq, Collection de Sceaux (1863) et par la Base numérique des sceaux conservés en France élaborée par Arnaud Baudin, Jean-Christophe Blanchard, Laurent Hablot, Philippe Jacquet, Ambre Vilain, et disponible en ligne sur le site Sigilla.org.

En effet, placés sous la protection du Garde des sceaux, et de par leur fonction consistant à garantir l'authenticité du document en attestant de l'identité de son auteur, l'étude des sceaux royaux constitue le chemin le plus sûr pour mener à bien cette entreprise de classification des titres de souveraineté.

Avant de fournir en conclusion, une réponse digne de confiance à notre question initiale, la dernière partie de cette courte recherche commentera les résultats qu'aura laissés apparaitre le tableau et la classification des titres des souverain en France.

***

1 - Qui est le premier « roi de France » ?

1.1 : Polysémie du praxème « France »

L'article « Roi des Français » disponible en ligne sur l'encyclopédie Wikipédia, démontre l'ampleur de l'imprécision dont fait preuve la connaissance commune quand il s'agit de différencier les titres de souveraineté :

- « Le titre de roi des Français rappelle celui de roi des Francs (en latin : rex Francorum), qui était la titulature latine officielle des rois de France, avant que la titulature de rex Franciae (« roi de France » en français) soit adoptée. »4

En utilisant la forme passive (« soit adoptée »), les rédacteurs peuvent passer sous silence l'identité du complément d'agent. Il n'est fait mention d'aucun souverain. Les rédacteurs recourent à de vagues analogies, un titre en « rappelant » un autre. Ainsi la connaissance commune démontre une capacité à vider les titres des souverains de toute signification précise. Elle peut ainsi les considérer comme des synonymes, parfaitement interchangeables.

Pourtant, il est difficile de comprendre pourquoi le « rex Francorum » règnerait sur la « France » et pas sur « les Gaules. » Effectivement, la traduction de l'oeuvre de Grégoire de Tours ne laisse aucune place à l'ambiguïté. Elle évoque en effet l'épopée du réputé premier « roi des Francs » se lançant à la conquête « des Gaules » :

« Le roi Clovis dit à ses soldats : « Je supporte avec grand chagrin que ces Ariens possèdent une partie des Gaules. Marchons avec l’aide de Dieu, et, après les avoir vaincus, réduisons le pays en notre pouvoir ».5

On peut cependant imaginer un « roi des Francs » régnant sur un territoire, et pas un Etat, qu'on appellerait déjà la « France.»

Dans sa biographe de Philippe-Auguste, le moine Rigord décrit un territoire équivalent à la Neustrie ou à la Gaule celtique sur lequel règne le Capétien. On désigne ainsi ce « roi de France » pour le différencier du « roi des Francs » régnant sur la Gaule Belgique :

« À proprement parler, le royaume des Francs est pris lorsque seule la Gaule Belgique est appelée le royaume des Francs, qui s'étend au-dessous du Rhin, de la Meuse et du Liger, et que la Gaule, par un terme approprié, est appelé la France dans les temps modernes. Il est seulement vrai que, à cause de l'insolence des rois des Francs, ils ne méritent pas encore d'avoir cette terre qu'ils appellent de plein droit la France »6 (Delaborve. 1884:604 )

Après la chute de la dynastie mérovingienne, la Neustrie se dissout dans l'empire carolingien. Il faut dès lors rejeter la définition assimilant la « France » à un territoire se différenciant du royaume d'Austrasie. A l’époque carolingienne, les Gaules dans leur ensemble sont remplacées par les royaumes de Francie, orientale, médiane ou occidentale.

Cependant la « douce France » de Charlemagne subsiste comme une entité entière et différente qui ne se laisse si facilement assimiler ni aux « Gaules » ni aux « Francies ».

L'auteur du Roman D'Aquin décrivait la France du « Roy Charlemaine » comme une étendue délimitée par une série de villes à conquérir: « Laon, Paris, Chartes, Saint-Denis, Orléans, Soissons. »

A la fin de l'époque carolingienne, sous sa forme la plus étroite, « la France » se réduit au domaine de la seigneurie de Laon :

« Sous les derniers Carolingiens, les comtes et les ducs furent devenus héréditaires dans leur commandements, et [...]  eurent réduit le roi de France à n'être plus que le seigneur de Laon... » (JOURDAN, DECRUSY et ISAMBERT. 1821 : LXXV)

Ainsi, en jouant sur une polysémie ambigüe assimilant indument « le territoire » et « l'État », la narration désinvolte de la connaissance commune laisse librement ouvert le champ des interprétations possibles attachées au lexème « France ».

Mais en poussant davantage l'étude des affirmations soutenues par la doxa, on s'aperçoit qu'elle fait aussi preuve de contradiction. Des différents auteurs, sur la base de catégorisations variées, ne s'accordent pas sur les solutions proposées au problème de l'identité du premier « roi de France. »

1.2. : différentes hypothèses

1.2.1 : l'hypothèse « implicite » de Robert II « le pieux » (996-1031) et le cas des rois à « double couronne »

L’article en français de Wikipédia « Royaume francs » adopte une catégorisation corrélant la variation des styles de souveraineté à la succession des dynasties : les Mérovingiens et les Carolingiens sont considérés comme des « rois des Francs » et c'est l'élection au trône d'Hugues Capet (987-996) qui en clôt la liste.7

Le concept de « France », apparaissant avec le titre des souverains capétiens, ne semble pas nécessairement désigner un territoire tel qu'on l'imaginait pour les époques mérovingienne ou carolingienne. Plus qu'un espace géographique, il pourrait aussi endosser une dimension existentielle et correspondre à un changement dans les coutumes de l'hérédité royale.

Une tendance lourde qu'il est facile d'observée pendant les deux premières dynasties, montre que chaque fils hérite de sa part du royaume à la mort du père (partage paternel du royaume). Mais, avec l'avènement de Robert II « le Pieux », on entérine un nouveau principe qui veuille qu'un héritier unique monte sur le trône. Dans son étude portant sur les relations mêlées entre héritage et élection comme principes dirigeants l'accès au trône, Jean Dhondt confirme cette approximation dans sa conclusion :

« Sous Robert II la couronne est transmise d'après les règles de l'hérédité et de la primogéniture. Il n'en a plus été autrement dans les siècles suivants. » (DHONT.1939 :953)

Ce domaine royal, placé en indivision, devient d'abord un principe de fonctionnement auquel on pourra attribuer a posteriori un territoire concret. Il servira de support à l'idée d'un unique « roi de France », exigeant son unique « royaume de France. » 

Dans cette catégorisation, les descendants d'Hugues Capet forment la lignée des « rois de France » et Robert II « le Pieux » en devient de facto le premier de la liste. Pourtant, à ma connaissance, il n’existe aucun texte, d’historien ou de commentateur, lui attribuant explicitement la primauté du titre.

Plus encore, en se penchant en détail sur la fiche présentant le sigillaire de Robert II, on s'aperçoit de l'étrangeté de cette catégorie de « roi de France» puisque son titre reste celui de « rois des Francs » :

« Légende transcrite : + ROTBERTVS GRATIA D(e)I FRANCOR(um) REX »8

L'exemple de Robert II n'est pas le seul à démontrer le caractère « flottant » de cette première catégorie de « roi de France » aux frontières poreuses. Cette étrange incohérence apparait en effet, quand on observe davantage la liste des « roi de France » établie par les auteurs de la base Sigilla.org.  

Si Robert II le Pieux (996-1031), Henri Ier (1031-1060), Philippe Ier (1060-1108) et Louis VI (1108-1137) apparaissent déjà en tant que « roi de France »9, ils n'ont pas quitté pour autant la liste des « roi des Francs. »10

La catégorisation mise en oeuvre par Wikipédia ou Sigilla.org ne s'appuie pas sur une description scrupuleuse du titre du souverain sous sa forme originale. En construisant leurs catégories, les auteurs déroulent un a priori de la perception sans jamais prendre en compte aucune vérification expérimentale. Loin de soucis de cohérence ou de considérations empiriques cherchant à donner une image précise des éléments, c'est au contraire une reconstruction idéologique qui informe les catégories. Dès lors, les résultats qu'on peut tirer de l'usage de cette catégorie idéologique, déliée de toute exigence logique, peuvent très bien prendre un aspect contradictoire ou amphibologique.

1.2.2 : L'hypothèse Philippe II « Auguste » (1180-1223)

Comme premier niveau d'approximation, la catégorisation employée par la connaissance commune est basée sur la supposition, a priori et implicite, que le premier « roi de France » apparaîtrait avec la dynastie capétienne. Il est alors étonnant de constater l'existence d'une autre thèse, explicite et très clairement exprimée, y compris parmi les universitaires, et qui présente Philippe II « Auguste », septième roi de la dynastie des Capétiens, comme un deuxième potentiel premier « roi de France », parlant toujours latin:

« Apparaît, à partir de 1190, [le titre] de rex Franciæroi de France qui sera dès lors en concurrence avec le titre de rex Francorum jusqu'à la Révolution. »11

Pour donner corps à ce changement de titre du souverain, on cite souvent un document communément appelé l’Ordonnance-testament de 1190.

Considérée comme « la première constitution écrite de la monarchie capétienne » (the first written constitution of the Capetian monarchy. (BALDWIN. 2010:96), cette ordonnance a été « prise [au] départ [du roi] pour la croisade, organisant le gouvernement en son absence. » (SMITH. 2015 : 26)

L'article anglophone « Style of the French sovereign »12, sans préciser si la langue traduite reste le latin ou est déjà le français, décrit explicitement le changement de titre supposé avoir lieu en 1190 :

1180–1190

By the Grace of God, King of the Franks, Count of Artois

Philip II

1190–1223

By the Grace of God, King of France

Philip II

Pourtant, le moine Rigord, premier biographe du roi Philippe, se présente explicitement dans le prologue de sa « Gesta Philiippi Augusti » comme le chronographe des « Rois des Francs »: « natione Gothus, professione phisicus, régis Francorum cronographus », car il se donne bien comme projet de rédiger une « hystorie regum Francorum », et le roi Philippe, malgré son titre d'Auguste, ne fait pas exception à la règle : « Dei gratia Philippi régis Francorum semper Augusti » 13

L'original étant perdu, cette ordonnance-testament a été retranscrite à partir de l'ouvrage du moine Rigord par Elie Berger dans son Recueil des actes de Philippe Auguste. Elle est librement disponible en ligne et universellement accessible. Et même si des transcriptions peu scrupuleuses font état de « roy de France », tout un chacun peut constater que ce document ne laisse apparaître nulle part le titre mythique. Au contraire, il y est fait usage du traditionnel « roi des Francs »: « In nomine sancte et individue Trinitatis. Amen. Philippus Dei gracia Francorum rex. » (BERGER. 1916 : 416)

Puisque la date de 1190 est incapable de s'imposer positivement comme le moment incontournable d'une rupture historique définitive, la connaissance commune devra alors la considérer comme la première étape d'une évolution progressive. Un article en anglais de Wikipédia résume ainsi cette progression: 

« The first king calling himself rex Francie (« King of France ») was Philip II, in 1190, and officially from 1204. »14

En lisant les pages d'archives de la discussion attachée à l'article consacré à Philippe II « Auguste » sur Wikipédia, on peut comprendre que cette impression d'évolution progressive, plus que de refléter une réalité historique, nait certainement davantage des désaccords inconciliables entre les auteurs :

« Alain Derville, né en 1924, agrégé d'histoire, docteur ès lettres, professeur à la Faculté des Lettres puis à l'Université de Lille III dans son livre La société française au Moyen Âge, 2000, p. 264 dit que « dès 1200, Philippe Auguste abandonna le titre de roi des Francs (rex francorum) par celui de roi de France (Rex franciæ). » »15

« Marie Thérèse Jones-Davies, professeur à l'Université Paris Sorbonne dans Langues et nations au temps de la Renaissance p. 39, dit que « Cette titulature devint officielle en 1181 lorsque Philippe-Auguste déclara : Philippus Dei gratia Franciae rex (Philippe roi de France par la grâce de Dieu). » »16

Bernard Guenée (Politique et histoire au Moyen Âge. 1981) se réfère à la date traditionnelle de l'Ordonnance-testament de 1190 :

« Mais, en 1190, Rex Francie apparaît dans quelques actes influencés par les traditions des Plantagenets. »

Il évoque aussi 1204, impliquant sans doute que la « France » serait la notion correspondant au nouveau territoire défini après la conquête de la Normandie :

« On n'aura pas été sans remarquer que l'expression Rex Francie a été adoptée dans la titulature officielle en juin 1204, juste au moment de la prise de Rouen. »(Guénée.1967 : 160)

« Alain de Benoist dans La ligne de mire, p. 62, dit que : « l'expression rex Franciae n'apparaît qu'au XIIIe siècle sous Philippe Auguste après la défaite de Muret » (le 12 septembre 1213 - dans le cadre de la croisade contre les Albigeois commencée en 1209.)»17

Une date encore postérieure symbolisant l'avènement du « roi de France », serait celle de la bataille de Bouvines en 1214. Pour la revue de popularisation scientifique « ça m'intéresse », cette date correspondrait logiquement à la disparition de la « Gaule » remplacée par la nouvelle « France » :

« Symboliquement depuis 1214, quand les troupes du roi Philippe Auguste battent celles de l’empereur germanique à Bouvines. On utilisait depuis l’an 883 le mot Francia (pays des Francs) et, avant cette date, Gallia (pays des Gaulois). En grec, la France s’appelle toujours Gallia. »18

D'après John W. Baldwin, « la dernière phase (1214-1223) au cours de laquelle se construit, dans la paix et la prospérité, la nouvelle idéologie d'une monarchie administrative et sacrée où le roi ne se dit plus seulement Rex Francorum, roi des Français, mais rex Francie, roi de France. » (BOUCHERON:2015)

Il est vrai que l'ouvrage du moine Rigord (offert au roi Philippe en 1196) utilise parfois le titre « rex Francie », quand par exemple, Philippe côtoie le « rex Ungarie » ou encore le « rex Anglie » qui le couronne lors du sacre du jeune roi à Reims (coronatus est Remis, adstante Henrico rege Anglie, et ex una parte coronam super caput régis Francie. (DELABORDE. 1882 :13) Il faut sans doute reconnaître l'influence des « traditions des Plantagenets » dans cet usage. L'occurrence apparaît effectivement en concurrence avec le titre de « Francorum rex. »

Mais plus qu'un changement de régime, on pourrait comparer cette variation des usages à une variation stylistique qu'on observe dans un corpus journalistique contemporain, où le « président de la République » est parfois désigné comme le « président des Français » ou plus rarement comme le « président de la France .»

Cependant, la connaissance commune suppose une logique historique donnant un sens à l'évolution de ces variations stylistiques. Afin de lui donner une apparence « naturelle », inévitable et nécessaire, la connaissance commune suppose qu'un premier « roi de France » latin (« Rex Franciæ » ou « Rex Francie ») succéderait au « roi des Francs » (tout autant latin.) Le « roi de France » en français devenant l'étape ultime d'une histoire visant téléologiquement sa fin.

Malgré cette apparence d'unanimité à propos du changement progressif de titre employé par Philippe II, la connaissance commune relativise ses certitudes et décèle une incohérence dans son usage :

« Il faut cependant relever que les traités et conventions de paix signés entre les vassaux ou alliés et le royaume de France mentionnent sans exception Philippus rex Francorum, Philippe roi des Francs ou des Français, à la différence par exemple de Richard roi d'Angleterre (rex Angliæ – en usage depuis Henri II – 1154 – fils d’Henri Ier, créateur du système Tally Stick). »19

Cette remarque sur l'usage du titre traditionnel dans les traités diplomatiques est amplement confirmée par les documents et reste valide bien après le règne de Philippe-auguste. Dans les traité de Munsters-Westphalie de 1648, le souverain français apparaît en tant que « rex Galliae » 20 (DUPARC. 1948 : 53)

François R. Velde témoigne d'autres formes dans le traité de 1648 et dans un autre traité avec l'Autriche. On y trouverait aussi les référence au « roi des Gaules » ou « roi des Gaulois » : « Galliarum et Navarrae Rex » treaty of Munster, 14 Oct 1648 (1 CTS 271), also treaty with Austria 19 Jan 1668 (10 CTS 387). « Rex Gallorum et Navarrae » treaty with England, 3 Nov 1655 (4 CTS 1.)21

Malgré cette légende tenace et très largement répandue du « rex Franciae » apparut sous le règne de Philippe II, les documents ne laissent pas de place au doute. On le vérifie facilement grâce aux travaux d'Elie Berger (Recueil des actes de Philippe-Auguste, roi de France. 1916) ou de Charles Petit-Dutaillis (Études sur le « Registrum Veterius » et la date de quelques actes de Philippe-Auguste.1938). Alors que les documents authentiques mentionnent toujours et sans aucune exception le titre de « Francorum rex », les commentateurs font systématiquement référence au « Roi de France. »

Pourtant Philippe Auguste, aura été « Roi des Francs » jusqu'à sa mort. Son testament, rédigé en 1222, fait toujours mention du « Francorum rex.»22

1.2.3: L'hypothèse « Saint » Louis IX (1226-1270), traduction, a priori de la perception et « exigence positiviste. »23

Même si une majorité d'auteurs semblent s'accorder pour reconnaître en Philippe II « Auguste » le premier « Rex Francie », la connaissance commune renforce le sentiment de confusion générale en proposant un autre prétendant au titre. Citant Colette Beaune, les rédacteurs de l'article « Francie » attribuent le premier titre de « Roi de France » à Saint-Louis (Louis IX) :

« C’est en 1254 que Rex Francorum laisse la place à Rex Franciæ. »24

Il serait même possible d'identifier « Saint » Louis IX comme le premier « roy de France » (en français). Une remarque de Louis Carolus-Barré permet d'expliquer la multiplication de la première apparition supposée du titre de « roi de France » dès le 13ème siècle. Louis Carolus-Barré constate qu'à l'époque de « Saint » Louis IX, de rares actes adressés à des administrations territoriales du nord-est de Paris, ou les traités diplomatiques adressés aux Plantagenêts, sont rédigés en langue vulgaire et le « Roy de France » n'y apparait que comme traduction de « Francorum Rex » :

« Dans cet ensemble rédigé en langue latine, il m'est arrivé [...] de trouver quelques actes en langue vulgaire [...] mais le texte de ces divers documents est conservé seulement en copie, et l'on n'a pas de mal à déceler qu'il s'agit de traductions faites sur des originaux rédigés en latin. » (Carolus-Barré. 1976 :149)

« Etienne Pasquier l'avait justement observé  [...]  dans ses précieuses Recherches de la France en écrivant « L'Ordonnace du roy saint Louys, de l'an 1254...fut faite en latin (ainsi que l'usage commun de la France portoit lors & auparauant) & depuis traduite par diverses plumes, chacune desquelles approprioit sa version au langage commun de son temps ». (CAROLUS-BARRE. 1976 :149)

Dans un article de 1885, Julien Havet partageait toute sa méfiance envers des copies erronées:

« De là les nombreuses copies des chartres mérovingiennes et les formules postérieures (sans parler des actes faux) qui nous sont parvenues avec la leçon rex Francorum « vir inluster », au lieu de « viris inlustribus », et qui ont accrédité cette leçon jusqu'aujourd'hui parmi les diplomatistes. Je crois qu'il faut considérer ces mots, quand on les trouve dans un texte mérovingien, comme introduits par une faute de copie, et qu'on ne doit pas hésiter à les corriger ». (HAVET. 1885 :149)

Si alors les titres des souverains sont à mêmes de subir les variations stylistiques des commentateurs et des « chronographes », si les documents originaux sont imprécisément copiés et traduits suivant les modes de l'époque, il faut admettre que la copie ne fait foi que d'elle même. En 1884, Elie Berger résumait ce principe fondamental, en constatant que (à propos des Actes de Louis VII):

« Ces lettres, que nous ne possédons plus sous leur forme première, ne prouvent rient contre les actes authentiques. » (BERGER. 1884 : 305)

Pour éviter les pièges tendus par les imprécisions contenues dans les copies et les traductions, le déchiffrage de la légende inscrite sur les sceaux royaux, bénéficiant de l'attention toute protectrice du Garde des sceaux, fournit une information fiable et capable de révéler la forme exacte du titre du souverain. Le document que le sceau authentifie, et qui lui sert de support, sera en mesure de préciser la date d'apparition du premier « Roi de France », à condition toutefois de ne pas se fier aveuglément aux commentateurs et préférer la connaissance directe.

Car plus encore que les vagues analogies, la connaissance commune s'appuie aussi sur de grossières erreurs difficilement explicables sans recourir à une théorie des habitudes de pensée érigées en a priori de la perception ou en obstacles épistémologiques:

« A partir de 1190, le sceau de Philippe Auguste est gravé de la mention en latin : Rex Franciæ, roi de France, mais la titulature latine rex Francorum reste par ailleurs en usage jusqu'à la Révolution. »25

Notre tableau montrera que l'affirmation prétendant que le titre de « Rex Franciae » apparait sur le sceau du roi dès 1190, est en totale contradiction avec l'observation. On n'en retrouve la confirmation ni dans l'inventaire numérisé sur le site sigilla.org ni sur les inventaires réalisés par Natalis de Wailly ou Douët d'Arcq. Toutes les sources s'accordent sur la légende, encore en latin, du sceau de Philippe II:

Philippus. Di. Gra. Francorum Rex. 121926

**

2 – Typologie des titres des souverains

2.1 Méthodologie

Seules les légendes employées dans les sceaux seront systématiquement étudiées. Les contre-sceaux pourront éventuellement apporter une précision si nécessaire. Quand il en existe plusieurs, seuls les premiers sceaux seront pris en compte. A partir de l'époque capétienne, s'il est fait état de différents types, on ne fera référence qu'aux seuls « Grands Sceaux » ou « Sceaux de majesté » sur lesquels le souverain apparaît assis de face en présentant les attributs royaux (le sceptre, le globe, le bâton de justice...)

Il arrive, en effet, que pour un même souverain, les titres varient selon le type des documents. Élie Berger a montré par exemple que Louis VII, dénommé « Francorum rex » dans la légende du « Grand Sceau », pouvait aussi être désigné comme « rex Francorum » ou « dux Aquitanorum » dans certains autres documents :

« Louis VII, qui dans ses plus anciennes chartes s'est intitulé rex Francorum et dux Aquitanorum, et qui à la fin de son règne ne s'appelait que Francorum rex, n'a pas renoncé au titre duc d'Aquitaine […] on ne trouve dux Aquitaniae que sur les copies... » (BERGER. 1884 : 305)

La description de la légende des sceaux ne comportera aucune référence à l'orthographe (rex Francie - rex Franciae, roy de France – Roy de France), les abréviations seront systématiquement reconstruites. On ne portera aucune attention à la police. Suivant le principe méthodologique formulé par Natalis de Wailly, seul le niveau sémantique sera conservé :

« lors même que deux formules sont identiques pour le sens et composées des mêmes mots, elles peuvent se distinguer par des abréviations ou par la forme particulière de certaines lettres. » (WAILLY. 1843:447)

Il faudra attendre un arrêt de Louis XIII, publié au parlement de Paris le 26 février 1633, pour que soit répandu l'usage d'une police uniformisée : 

« Les alphabets soumis par Barbedor et Lebé furent retenus en février 1633. La cour ordonna à la communauté de dresser des exemples explicatifs de la méthode de composition des lettres retenues, de les graver et de les faire imprimer pour le bénéfice du public, interdisant corrélativement « à tous lesdits Maîtres Jurés-Ecrivains & autres qui font profession d’enseigner d’user d’autres Alphabets, Caractères, Lettres & Formes d’Ecrire que celles contenues esdit Exemplaire [pour] instruire la jeunesse qui leur sera commise ». » (METAYER.2001:886)

Les souverains et leur titre respectif sont classés chronologiquement. Si le chiffre marquant le rang du roi dans son nom varie d'une source à l'autre, il sera indiquée entre parenthèse. Si la date du document varie d'un inventaire à l'autre, il en sera fait mention. Si il n'est pas mention d'aucune date, c'est la période de règne du souverain qui sera indiquée. Les rois « supposés », dont on ne possède aucun sceau attestant de leur titre, ou ceux dont l'original a disparu, ou dont l'existence n'est pas confirmée par les trois sources simultanément, n'apparaissent pas dans ce tableau.

2.2– Tableau chronologique :

Légende reconstruite

Nom (en français)

Date d'apparition ou période de règne

S.R. (Sigebertus Rex)

Sigebert (II)

638 – 656

Theudericus, Chlodovius, Childebertus, Chilpéricus 

Rex Francorum

Thierry (III), Clovis III, Childebert III, Chilpéric II

680, 693, 709, 716

-

Pépin le Bref, Carloman + Charlemagne

752, 769, 779

+ XPE (chrisme: Khi Rho) Protege Carolum Rege. (acc: regem) Francorum

Charlemagne

774

+ XPE (chrisme: Khi Rho) Protege Hlvdovicvm imperatore. (acc:imperatorem)

Louis « le Débonnaire »

816

+ XPE (chrisme: Khi Rho) Adjuva Hlothariv.(m) MP. (imperátorem) Avg (ustum).

Lothaire Ier

840

+ Karolus Gratia Dei Rex

Charles « le Chauve »

843 - 877

+ Karolus Misericordia DI. Imperator AVG.

Charles « le Chauve »

843 - 877

Hludovvicus Misericordia D(e)i Rex

Louis II « le Bègue »

878

+ ……………….. US Gratia DI.(Rex) / sigilla.org suppose que la place laissée devant – US, G un nom aussi long que « Hludovvicus »

Louis II le Bègue + Charles « le simple »

879

Zventeboldus Rex

Zuentebolde, roi de Lorraine (Austrasie)

897

Rodulfus Gratia DI. Rex

Rodolphe/Raoul

932

Robertus Gr(at)ia DI. Francoru. Rex

Robert II « le pieux »

997

Heinricus Di. Gra. Francoru. Rex

Henri Ier

1031 - 1060

Ludovicus Dei Gratia Francorum Et Navarre Rex

Philippe IV le bel (au contre sceau "et Navarre") + Louis X « le Hutin », Philippe V « le long », Charles IV « le bel »

1288-1315 –

1320 - 1328

Philippus Dei Gratia Francorum Rex

Philippe VI

1328

Karolus Dei Gratia Francorum Rex Octavus

Charles VIII

1495

Franciscus et Maria D.G. R. R. Francor. Scot. Angl. Et Hyber

François II et Marie Stuart

1559

Ludovicus XIII Dei Gratia Fracorum Rex

Louis XIII « le juste »

1610 Douet D'arc et Sigilla.org

1616 Natalis de Wailly

Louis XIII Roy de France et de Navarre – Par la Grâce de Dieu

Louis XIII « le juste »

1613 Sigilla.org

1617 Douet D'arc

1618 Natalis de Wailly (1633 pour la légende complète)

P.L.G.D. Dieu et la Loy constitutionnelle de l‘État Roy des François

– l'orthographe contemporaine (roi-loi) apparait sous Louis XVI mais n'est pas datée.

Louis XVI 

1790

3- Commentaires du tableau

Une fois qu'on a résolu de se plier au principe de l'« exigence positiviste » mis en exergue par Elie Berger, et qu'on a décidé de ne pas prendre pour argent comptant les traditions transmises et répétées par les copistes et les commentateurs; une fois qu’on est disposé à ne se référer qu’à la garantie fournie par le document original (et pas seulement «authentique» comme le sont considérées les copies tardives), le tableau typologique des titres des souverains nous présente une image de l'histoire de France bien différente de celle fournie par le « roman national. »

3.1 : les absents

- Childéric

Découvert à Tournai en 1653, le très célèbre anneau sigillaire de Childéric Ier, père de Clovis Ier, connait un destin similaire à la matrice du sceau de Dagobert. En effet Geneviève Bührer-Thierry et Charles Mériaux nous apprennent qu’il a été dérobé en 1831 avec l’ensemble de l’or du trésor.27

Même si Chifflet avait fait l’inventaire de ce trésor dès le 17ème siècle, pour les mêmes raisons positivistes, le titre de souveraineté démontré par la légende de cet anneau n'apparait pas dans notre tableau.

- Clovis

Ni ses supposés ancêtres depuis Faramond, ni le célèbre Clovis Ier n'apparaissent dans notre inventaire. Nous ne disposons d’aucun de ses sceaux ou d’aucune informations pour le décrire, même si les auteurs de Sigilla.org font état d’un témoin affirmant son existence :

« Sceau de forme, dimensions, dessin et légende inconnus.

Sceau attesté par une mention dans le Liber historiae Francorum,

édit. B. Krusch, dans Monumenta Germanica Historiae, Scriptores rerum merovingicarum, 1888, t. 2, p. 257. »28

Plus encore, malgré la fameuse biographie de Grégoire de Tours ou les autres chroniques semblables au Liber Historiae Francorum, Clovis Ier reste absent de certaines histoires. On peut citer notamment la chronique de Lausanne rédigée par Marius d'Avenches à la fin du Vième siècle. Bien que couvrant les année 435-581, la chronique ne nomme jamais explicitement le grand roi qui aurait unifié les tribus franques. « Childebert, Clotaire et Théodebert » sont les premiers rois des Francs dignes d'être cités par l'évêque de Lausanne.29

Cette absence de documents mérovingiens authentifiés par le sceau du souverain n’est qu’un moindre problème. Carlrichard Brülh va jusqu’à remettre en cause l’authenticité de l’ensemble des documents « authentiques» attribués aux premiers supposés souverains mérovingiens :

« On sait qu'il ne nous reste de Clovis aucun acte sincère qui viendrait tant soit peu éclairer l'histoire de son règne : triste constat que l'on peut étendre à l'ensemble du VIème siècle mérovingien, dont les rois pas plus que leur homologues lombards, ne nous ont laissé un seul acte qui ne soit une forgerie. » (BRUHL. 1996 : 219)

En note en bas de page, Carlrichard Brülh précise qu’on trouve dans une copie d’une lettre de Clovis adressée au évêques le titre de « rex » sans le complément « Francorum ». (BRUHL. 1996 : 219)

Le document le plus ancien conservé aux Archives Nationales date de 625 et mentionne Clotaire II, mais aucun sceau n'y apparait:

« Les Archives nationales conservent environ trois cents diplômes mérovingiens et carolingiens, le plus ancien étant un papyrus de Clotaire II daté de l’an 625. » (NIELEN, PREVOST. 2013 :4)

Dagobert 

Malgré la popularité du grand roi et de son ministre des finances célébré par la comptine pour enfants, le célèbre Dagobert a aussi été exclu. En effet, si Dagobert est identifié différemment par Douët d’Arc (Dagobert Ier - roi d'Austrasie et des Burgondes vers 629-639 régnant avec son ministre Eloi) et Sigilla.org (Dagobert II – roi d’Austrasie de 676 à 679, assassiné par Thierry), il est complétement absent de l’inventaire de Natalis de Wailly. La base Sigilla.org se dispense de nous présenter aucune matrice du premier Dagobert dont elle suppose l’existence, quant à l’existence du sceau du second Dagobert identifié par Sigilla.org, elle reste tout autant problématique d’un point de vue positiviste, puisque nous ne disposons plus que d’un « Moulage fait à partir d'une empreinte prise sur une matrice en bronze, découverte en 1840 dans le Doubs, mais aujourd'hui disparue. »30

Hugues Capet

Le fondateur de la troisième dynastie, n'apparait ni dans l'inventaire de Natalis de Wailly ni chez Jean Douët D'Arcq. L'illustration de son sceau « uniquement connu par des dessins » est présentée par Sigilla.org.31

Dans leur Recueil général des anciennes lois françaises depuis l'an 420 jusqu'à la révolution de 1789, les auteurs présentent Hugues Capet comme un usurpateur. Ils n'omettent pas l'occasion de rappeler l'absence de document législatif : « Un savant nous a dit avoir vu des Chartes de cette époque, datées de différentes années de l'usurpation de Hugues, duc de France. » (JOURDAN, DECRUSY et ISAMBERT. 1821 : LXII)

Faute de documents originaux, le « Dux Aquitarum »/« Dux Francorum » (GANSHOF. 1972 :15)  n'apparait ni en tant que « rex Francorum » ni comme « Francorum rex » dans notre tableau.

- Le  « Rex Franciae »

Bien qu'elle soit censée valider la thèse de l'évolutionnisme soutenue par la connaissance commune, le titre de « rex Franciae » a complétement disparu de notre tableau. Alors qu'elle devrait prouver la transition entre le « Francorum rex » latin et le « roi de France » français, on ne trouve aucune trace de cette étape fondamentale.

Cette absence d'un titre intermédiaire, permet de fonder toute la critique adressée à l'optique anachronique, d'une histoire passée au prisme du nationalisme. Une telle histoire pêche par son heuristique impuissante. Elle se montre, en effet, incapable de découvrir de simples faits. Et au contraire, elle en invente d'autres pour combler ses besoins idéologiques. Si la « collection de sceaux des rois et des reines de France » est incapable de nous renseigner sur l'identité du premier « rex Francie », c'est pour la raison que selon les critères nationalistes modernes, ce roi est un « Anglais » !

En réalité, dans un contexte féodal qui ne connait pas encore le concept de « nation », les cousins rivaux n'ont pas oublié leurs liens de parenté. Dans une communication au Parlement en janvier 1338, Edouard évoque la demande du Pape de parvenir à « un traité de paix avec notre parent consanguin de France. »32 (MOEGLIN. 2012 :889)

Edouard III Plantagenêt, petit-fils du Capétien Philippe IV Le Bel, fils de Marie de France et parlant très probablement français, semble avoir été contraint de réagir à la politique agressive menée par cousin Valois. En août 1337, Philippe VI avait confisqué la Guyenne, et d'une manière générale Edouard se plaignait déjà au pape ou à son légat d'être victime d'injustices répétées: « Nous défions désormais, comme la nécessité nous y oblige, le dit Philippe en tant que violateur desdites trêves et notre ennemi et persécuteur capital, et l’injuste usurpateur de notre royaume de France, et le téméraire envahisseur de tous nos autres droits. » 33 (MOEGLIN. 2012 :891)

Pour se préserver des persécutions du Valois, Le Plantagenêt se décida de le priver de son pouvoir de nuisance en lui enlevant son trône. Edouard dès lors commença à revendiquer ses droits sur la couronne de France en 1337 : « C’est le 7 octobre 1337 qu’Édouard III mentionne pour la première fois officiellement sa revendication de la couronne de France » (MOEGLIN. 2012 :889)

C'est dans le cadre de la construction d'une union commerciale et financière avec le Comté de Flandres  qu'Edouard, cherchant à appuyer sa « revendication dynastique […] au trône de France » (ROYER-HEMET. 2012:31)adopta le titre de « Rex Angliae et Franciae et Dominus Hiberniae et Dux Aqvitanie » le 23 janvier 1340 à Gand. (LETTEHOVE. 1866 :479-480)

« Ce fut par le conseil d'Artevelle qu'Edouard prit ce titre de roi de France que ses successeurs n'ont point encore quitté. L'objet de cette démarche était de lever le scrupule que les Flamands pouvaient se faire de porter les armes contre leur suzerain : or ce suzerain était le roi de France, quel qu'il fût. » (PANCKOUCKE. 1784:248)

Mais plus encore que le seul ralliement des Flandres, on peut comprendre la stratégie plus large suivie par Edouard III qui, adoptant le titre de « rex Franciae », cherche à contourner l'obstacle de la « loi salique ».

Dans l'appareil critique accompagnant sa traduction de La Nouvelle Atlantide de Francis Bacon, Michèle Le Doeuff résume la pomme de discorde que représente cette « loi salique »:

« En effet, depuis le XIVème siècle, les Anglais assurent que cette « loi » (qui stipulerait que "in terram salicam mulieres non succédant", que les femmes sont exclues de la succession de « la terre salique ») s'applique seulement au canton de Sale, ou à une vieille ville du Rhin nommée Salem, ou à une région d'Allemagne située entre l'Elbe et la rivière Sala (Saale) - en tous cas pas à la France: car, si elle ne vaut que pour cette « terre salique », alors la prétention des souverains anglais à la couronne de France est légitime, Edouard III d'Angleterre étant petit-fils de Philippe IV de France par sa mère. » (LE DDOEUFF.1997:139)

Ainsi, en abandonnant toutes prétentions au titre de « roi des Francs », Edouard s'estime libéré des traditions du système de transmission du pouvoir auquel sont soumis les Francs « saliens ». Si la « loi salique » s'applique nécessairement au « Francorum rex », elle ne concerne pas le « rex Franciae ». 

Les successeurs d'Edouard III resteront « King of France » jusqu'en 1801.

« In 1800, the British and Irish Parliaments passed an Act of Union that took effect on 1 January 1801 and united Great Britain and Ireland into a single state, known as the « United Kingdom of Great Britain and Ireland ». George used the opportunity to abandon the title « king of France », which English and British sovereigns had maintained since the reign of Edward III. »34

Les armoiries britanniques affichent encore aujourd'hui une devise en français, « Dieu et mon Droit », afin de rappeler les revendications des souverains d'outre-Manche.35

3.2 : première dynastie des « rex Francorum »

Suivant notre corpus, le premier roi des Francs /« rex Francorum » est donc Thierry (Thierry III, fils de Clovis II et roi de tous les Francs de 679 à 691.)

Au de-là des désaccords sur le chiffre du rang dans le nom, il est sans doute remarquable de constater que c'est l'idéologie contemporaine qui décide de distinguer le Franc « Thierry » du Goth « Théodoric. » Même si les transcriptions de la version latine peuvent varier très légèrement (« Theudericus » ou « Theodericus ») elles constituent deux réalisations d'une forme unique d'origine proto-germanique *Þeudarīks. C'est alors la traduction qui détermine postérieurement « l'ethnicité » de l'original ! Des idéologies nationalistes beaucoup plus tardives ont attribué des formes différentes à ce que l'unicité lexicale proto-germanique désignait comme « le roi de la nation. »

Pour le roman national actuel, il est tout autant surprenant que le moine Rigord, originaire des Cévènnes et premier biographe de Philippe-Auguste, puisse encore se déclarer de « nationalité gothe » (natione Gothus) plus de cinq siècles après la bataille de Vouillé. Mais l'influence du Marquisat de Gothie et de ses traditions ont certainement perduré au moins jusqu'à la fin du XIIème siècle. Cependant la « nationalité gothe » à laquelle se réfère le moine Rigord a peu de chance de trouver un écho dans la définition contemporaine de la « nationalité. » Claudie Duhamel-Amado précise que :

« « Saliques », « Goths », « Romains »... les notions d’identité devaient déjà renvoyer, autour de 900, à des traditions familiales et culturelles dominantes plutôt qu’à une réalité ethnique bien définie, aucun des trois groupes n’ayant échappé au processus permanent de fusion, comme en témoigne le repérage des alliance matrimoniales au sein de l’aristocratie. » (DUHAMEL-AMADO.1992 : note en bas de page 2)

Quelque soit son ethnie, le roi Thierry s'impose comme le premier souverain d'une série remarquable par sa cohérence, celle de la « race » des « rex Francorum » :

« La légende des sceaux de nos rois de le première race est constante est uniforme. C'est toujours le nom du roi mis au nominatif et accompagné du titre de roi des Francs. Theodoricus, rex Francorum. » (DOUET D'ARCQ. 1863 : XCIV)

3.3 : Rex, Imperator, Augustus : l'instabilité carolingienne

La première époque mérovingienne est suivie par une courte période (752, 769, 779) correspondant à l’avènement de la dynastie carolingienne, et pendant laquelle aucune légende n'apparait.

Avec le deuxième sceau du règne de Charlemagne (774), le titre de « rex » réapparait métamorphosé. Certes le grand Charles reste « roi des Francs », mais, soumis à la « protection du Christ », il endosse la fonction d’accusatif: « XPE protege Carolum Rege Francorum. » Ainsi ce changement grammatical résulte de l'apparition d'une instance divine, incarné dans le chrisme, et dont la protection assure au roi Charles sa souveraineté.

Même s’il existe du monétaire (un denier d’argent notamment) attestant du titre d’empereur, notre corpus des empreintes des sceaux ne fait pas apparaitre Charlemagne portant le titre impérial. Il faut attendre son successeur, Louis le Débonnaire (816 + 839), dont la légende du sceau pourrait sembler identique à celle de son prédécesseur, excepté le titre d’empereur, toujours à l’accusatif et toujours placé sous la « protection » divine symbolisé par le Khi Rho. Seulement, contrairement à Charlemagne, Louis ne règne plus sur les Francs : 

+ XPE (chrisme: Khi Rho) Protege Hlvdovicvm imperatore. (acc:imperatorem)

Le titre de Lothaire premier (840) garde une structure générale similaire suivant le chrisme. Seulement, le nouvel empereur ne bénéficie plus de la « protection » divine mais son aide (« adjuva ») qui lui a permis d'augmenter son titre (« Augustum ») : 

+ XPE (chrisme: Khi Rho) Adjuva Hlothariv.(m) MP. (imperátorem) Avg (ustum).

« Charles le Chauve, en 843, introduit le premier la formule « gratia Dei », et ne prend encore que le titre de roi : Karolus, gratia Dei, rex. En 877, il remplace le « gratia Dei » par « misericordia Dei», et prend le titre d'empereur : karolus, misericordia Di. imperator aug. » (DOUET d'ARCQ.1863:XCXV)

Louis II le Bègue, Charles le simple et Rodolphe/Raoul (879, 911,932) reprennent l’usage inauguré par Charles le Chauve en 843: nom du roi au nominatif :

+ Gratia Dei Rex (Rodolfus Gratia Dei Rex.)

3.4 : la dynastie capétienne

3.4.1 : les fondateurs Robert II « le Pieux » et Henri Ier

La connaissance commune avait attribuée une place remarquable à Robert II « le Pieux » et Henri Ier. L'observation systématique des sceaux confirme cette position imminente occupée par les deux rois : « Le premier sceau capétien que possèdent les Archives est celui du roi Robert » (DOUET D 'ARCQ.1863 : XXXIX)

Robert réintroduit la mention « Francorum » qui n’avait pas été utilisée depuis Charlemagne (même si nos trois sources ne le citent pas toutes, il est parfois fait mention d’une « renovatio regni Francorum » chez Charles le Chauve). Robert est le premier à associer « Gratia Dei » à la tournure modernisée « Francorum rex », dans laquelle le « rex » est postposé, contrairement à sa position antéposée dans le style mérovingien « rex Francorum. »

Robert possède aussi la réputation d'être le premier souverain à utiliser un « sceau de majesté » : « M. Lecoy de la Marche lit un mémoire duquel il résulte que le grand sceau de nos rois, dit sceau de majesté, fut inventé à l'avènement de Robert, en 996. Il appuie cette observation nouvelle sur la confrontation des empreintes de cire avec les formules des actes auxquels elles sont jointes. » (LECOY DE LA MARCHE.1889 : 170)

Douët d'Arcq le décrit ainsi : « Un roi vu de face, à mi-corps, la tête ceinte d'une couronne à trois fleurons, la barbe longue. Le manteau, attaché sur l'épaule droite, retombe en pointe sur la poitrine. Il tient à la main droite un sceptre et à la gauche un globe. » (DOUET D'ARCQ.1863:270)

Pourtant, il manque à ce sceau de Robert II « le Pieux » un dernier élément pour un faire un « sceau de majesté » tel que l'entend Douët d'Arcq. En effet, si le roi brandit les attributs royaux (le sceptre et le globe), il est aussi « vu de face. » Mais sa position du cadrage « à mi-corps » ne permet pas de décider s'il se tient assis ou debout.

Selon Douët D'Arcq, il faut attendre encore une génération pour qu'apparaisse le « sceau de majesté » :

« C'est son fils, Henri Ier, qui nous fournit le premier exemple d'un sceau de majesté. C'est un sceau rond d'environ 76 millimètres de diamètre. Le roi y est vu de face, assis sur un trône d'une architecture à deux étages et qui est accompagné d'un marchepied. Sa couronne, à trois fleurons, ressemble à celle de son père. Il porte comme lui la barbe longue et est également vêtu de la tunique et du manteau, attaché cette fois sur l'épaule droite et retombant en pointe sur la poitrine. Ses deux bras sont levés à la hauteur de la tête. Il tient, à droite, un fleuron à trois lobes, et, à gauche, un bâton ou sceptre. » (DOUET D'ARCQ.1863 : XXXIX)

En ce qui concerne la légende complète, Henri Ier reprend l'ordre du « Francorum rex » établi par son père,  mais inverse l'ordre de la grâce divine. En 1056, à l'époque où Procope de Sázava rédigeait l'Evangéliaire de Reims, le futur époux d'Anne de Kiev établit l'ordre canonique de la légende :

« HEINRICUS (Nominatif) + DEI GRATIA FRANCORUM REX. »

Cet ordre perdurera, parfois complété mais jamais changé, jusqu'à l'avènement du « roi de France » :

« Cette dernière forme est employée invariablement par tous ses successeurs jusqu'à Charles VIII, qui le premier ajoute à la légende royale le chiffre marquant son rang parmi les rois du même nom : Karolus, Dei Gratia, Francorum rex octavus » (DOUET D'ARCQ.1863 : XCXV)

Charles VIII ne complète la légende royale qu'en fin de règne (à partir de 1495), ses premiers sceaux disponibles n'en font pas mention. Ce changement a d'ailleurs échappé à Natalis de Wailly qui présente un sceau de 1494 et qui attribue l'apparition du chiffre à son successeur, Louis XII (Ludovicus Dei Gratia, Francorum rex Duodecimus - 1499)

3.4.2 : Derniers Capétiens directs, derniers Valois et premiers Bourbon

3.4.2.1 : les derniers Capétiens directs : « roi des Francs et de Navarre »

On pourrait tout de même amender la remarque de Douët D’Arc. Il faut noter qu’avant le changement accompli par Charles VIII (Valois), le mariage de Philippe IV « le Bel » avec Jeanne de Navarre avait déjà apporté une modification à la légende royale canonique : « Philippe le Bel ajoute à sa légende, en 1286, sur son contre-sceau, les mots et Navarre, parce qu'il possédait la Navarre depuis son mariage avec Jeanne de Navarre, comtesse de Champagne, en 1284. » (DOUET D'ARCQ.1863 : XCIV)

Tous les fils de Philippe IV « le Bel » et de Jeanne de Navarre hériteront du titre légué par leur mère. Ainsi, les trois frères et derniers Capétiens directs, Louis X « le Hutin » (+1316), Philippe V « le Long » (+1322) et Charles IV « le Bel » (+1328) ont tous enrichi le titre royal de la couronne de Navarre :

« Dei Gratia Francorum et Navarre Rex. »

Mais les deux royaumes restent distincts, et ne sont pas soumis aux mêmes traditions ni au même corpus législatif. La "loi salique" ne s'appliquant pas en Navarre, à la mort de Charles IV, c'est sa nièce Jeanne II, fille de Louis X et petite fille de Jeanne de Navarre, qui reprendra la couronne après maintes péripéties. A la mort de son père, Jeanne II avait été successivement évincée du trône par ses oncles, les régents Philippe V « le Long » et Charles IV « le Bel ».

En avril 1328, à Saint-Germain-en Laye , les familles royales pouvant potentiellement exprimer des revendications sur le trône de Navarre, se réunirent en assemblée et s'accordèrent pour que Jeanne reprenne son titre. Jeanne finit par retrouver son héritage royal.  Elle et son mari, Philippe d'Evreux, furent couronnés malgré les réticences des Cortès à choisir des princes ne résidants pas en Navarre (LEROY. 1970 : 138,139).  On s'aperçoit que les reines de France possédaient un titre en langue française, alors que le titre des hommes restent en latin :

« Philippus, Dei gracia Navarre rex, comes Ebroicensis, Engolismensis, Longueville et Moritonii » (acte daté de Paris du 20 juillet 1328), et « Johanne, par la grace de Dieu, royne de Navarre, contesse d’Evreus, d’Engolesme, de Mortaing et de Longueville.»36

Jeanne II « ajouta à ces différentes qualités, celle de « fille de roi de France ». On en trouve le premier témoignage dans un acte du 2 octobre 1337 daté de Paris : « Philippus, Dei gratia rex Navarre, Ebroycensis, Engolismensis, Moritonii, Longevilleque comes, et Johanna, filia regis Francie, eadem gratia dicti regni regina dictorum comitatuum comitissa, ejus consors ».(CHARON.2019 :3)

« Ce nouveau titre, qui traduit incontestablement une conscience aiguë de son origine, voire une revendication assumée. » (CHARON.2019 :3). Faut-il voir dans la revendication de l'héritage du « Rex Francie » la stratégie qu'on devinait déjà chez Edouard III et qui consiste à affirmer que la « loi salique » concerne uniquement la succession du « roi des Francs » ? 

Son fils, Charles II ne manquera pas de rendre cette « loi salique » la plus irréelle possible: 

« Charles II rappela l’ascendance royale de sa mère lors de la crise de la royauté de 1358, et suggéra ainsi ses droits à la couronne de France. » « Dans son discours du 15 juin 1358 devant les Parisiens à l’hôtel de ville, Charles rappelle ses origines, « des fleurs de lis de tous costez », et avance l’idée selon laquelle « eust esté sa mere roy de France se elle eust esté homme, car elle avoit esté fille seule du roy de France » (CHARON.2019 : note en bas de page 20)

Comme de leur côté, Philippe VI et les Valois ne pouvaient formuler aucune revendication sur le trône de Navarre, ils reprendront le titre canonique établi par Henri Ier.

3.4.2.2 : Le couple François II et Marie Stuart

A la mort de son père Jacques V, Marie Stuart devient reine des Ecossais. Mais encore trop jeune pour régner, elle devient l'otage autant des stratégies diplomatiques entre l'Ecosse et l'Angleterre que des luttes pour la régence. Fille de Marie de Guise, la petite reine âgée de 6 ans part pour la cour d'Henri II de France, où elle sera élevée auprès du dauphin François. Leur mariage sera célébré en 1558 à Notre-Dame de Paris. François portera dès lors le titre de roi des Ecossais. Après l'accident tragique qui emporta Henri II lors d'un tournoi (1559), les jeunes époux partageront les deux titres de roi et reine (rex et regina) des Francs et des Ecossais.

Et même si les deux États ne sont pas fédérés dans une entité unique, leurs sujets respectifs bénéficient de toutes les dignités « que faire pourraient s’ils étaient originairement de notre royaume » (DUROT.2007:9)

Si la souveraineté partagée sur les Ecossais et les Français engendrent des privilèges concrets dont profitent les sujets des deux royaumes, le titre complet arboré laisse entrevoir des projets plus ambitieux, puisque les époux royaux se prétendent « Rex et Regina Francorum, Scotorum, Angliae et Hiberniae. »

Pour Marie Stuart, ces prétentions sur l'Angleterre et l'Irlande prennent comme prétexte les conséquences juridiques du schisme anglican. Henri VIII avait désigné son fils Edouard pour lui succéder. A sa mort en 1553, c'est la fille qu'il avait eu avec Catherine d'Aragon qui était montée sur le trône. Mais comme le divorce entre Henri VIII et Catherine d'Aragon n'avait pas été légitimé par le pape, les clans catholiques refusaient de reconnaître comme légitime la fille d'Anne Boleyn. Marie Stuart, petite-fille de Marguerite Tudor, était la petite-nièce d'Henri VIII. C'est à ce titre qu'elle revendique le trône d'Angleterre, poussée par les Guise refusant de reconnaître l'autorité d'Elisabeth Ière, illégitime aux yeux des Catholiques.

Pour François II le Valois, on peut aussi interpréter ces prétentions comme une réciprocité diplomatique puisque les souverains anglais revendiquent le titre de "rex Franciae" depuis Edouard III :

« La reine d’Écosse peut bien porter les armes d’Angleterre puisque la reine Elizabeth n’a pas renoncé à la prétention de ses aïeux de prendre celles de France »  (DUROT.2007:10)

La façon dont l'article d'Éric Durot présente le titre de François II est révélateur d'une idéologie élevée au rang d'a priori de la perception. Dans une note en bas de page, le titre de François II est retranscrit exactement de la façon dont il apparait dans notre inventaire :

« FRANCISCUS ET MARIA D. G. R. R. FRANCOR. SCOT. ANGL. ET HYBER. 1559 »

Pourtant, la reconstruction de la légende utilisée dans le corps de l'article s'avère d'un niveau d'approximation très imprécis:

« Franciscus et Maria Dei gratia Franciae, Angliae, Scotiae et Hiberniae Rex »

En plus de délaisser le premier R. de Regina, et d'intervertir l'ordre SCOT. ANGL. par Angliae, Scotiae, l'auteur décide d'interpréter le « R. FRANCOR. » par « Franciae Rex. » (DUROT.2007:10)

Cette transcription idéologique est d'autant plus surprenante que l'importance de la forme du titre est clairement mentionné quand on cherche à interpréter le mode ou le style du gouvernement d'un État et de son système politique:

« la reine d’Écosse, en réalité reine des Écossais, Queen of Scots, ce qui traduit bien la manière dont les Écossais envisagent sa souveraineté. » (DUROT.2007:9)

Mais fidèle au roman national, l'importance du style de souveraineté que notre auteur reconnait quand il évoque les Ecossais, devient négligeable pour le cas des Français.

3.4.2.3 : les premiers Bourbons et les derniers « Francorum rex »

Frère de François II et dernier Valois régnant, mort assassiné par le moine Clément en 1589, Henri III de France avait désigné Henri III de Navarre comme son successeur. Mais l'opposition des clans catholiques et du parlement de Paris l'emportant dans un premier temps, ce fut le cardinal de Bourbon qui fut désigné comme nouveau roi de France sous le nom de Charles X (Carolus X D.G Francorum rex). Comme le cardinal était toujours enfermé, fait prisonnier depuis que Henri III avait entamé sa guerre ouverte contre les Guise et la ligue catholique, il ne lui resta d'autre choix que de se récuser au profit de son neveu protestant. Henri III de Navarre montera sur le trône de France sous le nom d'Henri IV :

« Henricus Quartus Dei Gratia Francorum rex. »

Même si l'emblème de Navarre apparaît aux côtés des fleurs de lys sur les armoiries du royaume de France, le titre canonique du « roi des Francs » n'est pas altéré. Henri IV reste le digne héritier d'Henri Ier.

A l’occasion de l’assassinat d’Henri IV par Ravaillac le 14 mai 1610, le Garde des sceaux Sillery répliquera à Marie de Médicis en pleurs : « Votre Majeste m'excusera, les Roys ne meurent point en France. »37

On peut interpréter cette sentence du conseiller Sillery comme une démonstration « des deux corps du roi » analysée par Ernst Kantorowicz, elle pose aussi le principe qu'on désigne aujourd'hui comme la « continuité de l'État » : « [signifiant] que la personnalité juridique dans l'ordre juridique international subsiste malgré les changements de territoire, de population, de régime politique et juridique et de nom. » (HAMDOUNI. 2014 : note en bas de page 22)

En citant Victor-Lucien Tapié, Fabrice Hoarau rappelle que l'État royal s'appuie sur le « principe de la pérennité monarchique, dont le souverain régnant n'était qu'un dépositaire viager. » 38

Dès lors, si Henri disparait en 1610, son corps étatique lui survit. Le titre réapparaitra nécessairement instantanément, et Douët D'Arcq identifie effectivement sur un document un sceau de cette date : « Premier Grand Sceau (1610) Sceau de majesté au pavillon ouvert par deux anges. Ludovicus XIII Dei Gratia Francorum Rex. Appendu à un cahier de parchemin contenant l'union de la manse abbatiale de l'abbaye du Val au monastère des Feuillants de Paris – 1616. - Les Archives de l'Empire possèdent un autre exemplaire de ce sceau sur lequel on lit dans un cartouche la date de 1610. » (DOUET D’ARCQ.1863 : 281) 

Le titre canonique restera inchangé pendant toute la régence de Marie de Médicis.

Mais la continuité de l'État ne se confond ni avec la continuité du régime, ni avec celle du gouvernement. La permanence du titre du souverain ne pourrait bien donner qu'une vague illusion de stabilité, et mal cacher de possibles coups de force.

La succession d'Henri III a montré comment la volonté du roi défunt s’est opposé aux projets de la Ligue, alliée au Parlement de Paris. Si tous s'accordaient sur un changement de dynastie en faveur des Bourbons, ils ne s'accordaient pas sur la religion du futur roi. Comme le cardinal de Bourbon, désigné roi sous le nom de Charles X, restait emprisonné et placé sous la garde des armées protestantes, il n’eut d’autre choix que de désigner son adversaire Henri III de Navarre pour le remplacer. Le cardinal décèdera dans la foulée. L’éphémère Charles X est sans doute un exemple typique de ces rois « faits néant. »

Une génération plus tard, en entrant au conseil du roi, la régente Marie de Médicis parvient techniquement à évincer du pouvoir son fils. Elle devra néanmoins convoquer les États-généraux en décembre 1614 pour parer son coup de force d'un voile de légalité. Elle apaisera ainsi la révolte menée par les Grands du royaume : « Après le traité de Sainte-Ménehould du 15 mai, par lequel la Régente accepte de convoquer les Etats, la lutte, qui un moment a failli prendre un tour militaire, se déplace sur les élections » (CHARTIER. 1976 :72).

En revanche, un changement de titre mettra nécessairement en évidence un changement de régime, subit et le plus souvent brutal.

Ainsi, la dynastie mérovingienne disparait quand Childéric III, dernier « rex Francorum » est fait prisonnier. Enfermé dans l'abbaye de Saint-Bertin en 751, il est tondu pour signifier à tous son éviction du pouvoir.  Dans une étude de 1948, comparant la sémiologie de « tondere » et « tundere », Jean Hoyoux explique d'une façon très convaincante que la « tonsure » était en réalité un supplice particulièrement cruel : 

« La tonsure des rois déchus ne pouvait être une simple coupe de cheveux dont la nature aurait effacé la trace en quelques années. Il s'agissait certainement d'autre chose, d'un signe dégradant et indélébile. Or, une telle trace résulte bien du scalp par arrachement » (HOYOUX.1948 :507)

De son côté, intégrant cette brutalité des comportements politiques dans sa réflexion, et prenant soin de distinguer « pouvoir » symbolique et « puissance » effective, Jean Dhondt observe que les principes juridiques et législatifs sont des remparts fragiles, incapables de s'opposer à la réalité des rapports de force. Jean Dhondt explique que l'élection du roi, par les grands du royaume, permet aux princes (Pépin, Hugues Capet) qui possédaient déjà « la puissance », de prendre « le pouvoir » :

« Mais hérédité ou élection, ce ne sont là que des formules à l'époque. Ce qui compte, c'est la puissance qui permet d'imposer le pouvoir. L'élimination des Mérovingiens au profit de Pépin en est une preuve.  La succession de Carloman, frère de Charlemagne, en est une autre. » (DHONDT.1939 : 918)

A propos de la succession de Carloman, Jean Dhont décrit un théâtre de l'élection : « Ceci constitue en quelque sorte une élection ; mais ici encore les grands n'avaient guère le choix ; ils ont « élu » celui que sa puissance et ses liens de parenté imposaient à leur choix. » (DHONDT.1939 : 918)

Suivant les contextes historiques, les électeurs relativiseront la valeur accordée aux principes dynastiques pour guider leur choix du successeur au trône. Mais d'une manière générale, on pourrait déceler dans l'instabilité des titres à l'époque carolingienne, un « coup de force permanent » rendu possible par la faiblesse du souverain et de son État.  Même s'il possède tous les attributs symboliques et légaux du « pouvoir », le souverain carolingien se montre un souverain sans « puissance. » Martin Gravel explique que l'hypothèse de la faiblesse structurelle rend compte pour le mieux de l'instabilité du royaume carolingien :

« L’échec institutionnel est l’hypothèse du cadre structurel la mieux étayée par la recherche. La Verfassungsgeschichte voit dans les limites de l’outillage institutionnel de l’Empire carolingien une explication de sa fragmentation. L’empereur n’aurait pas eu les moyens de ses ambitions et il lui était impossible de remédier à ce problème. L’administration méthodique des domaines du fisc, l’organisation d’une armée permanente ou l’instauration d’un système judiciaire rationnel étaient à la fois essentielles et irréalisables. Cette hypothèse s’est construite sur l’axiome implicitement admis qui veut qu’aucun État digne de ce nom ne puisse se maintenir sans un appareil bureaucratique appuyé sur le document écrit, la comptabilité, l’archivage et le fonctionnariat.  » (GRAVEL. 2011 :363)

Certes, on a coutume d'admettre que la dynastie carolingienne s'éteint naturellement avec le décès du jeune Louis V qui n'avait pas encore de descendant en 987. Au de-là de cet aspect naturel des événements, Jean Dhondt explique que dans le cas de l'avènement de Robert Ier, l'élection est devenue le moyen par lequel s'exerce le rapport de force :

« Ceci n'est plus une simple élection, mais un renversement de la dynastie -  Ce qui accentue toutefois le caractère insolite de ces élections, c'est qu'elles constituent beaucoup plus qu'une simple élection ; elles sont une révolte contre le roi régnant et elles ont pour but de le détrôner. » (DHONDT.1939 : 930)

Même si on considère la fin tragique et brutale de Louis V comme un accident, le passage au règne des « Francorum rex » capétiens correspond effectivement à un changement de régime. On assiste non seulement à la prise de pouvoir des Capétiens, on constate aussi un changement dans les principes de transmission du royaume, conçu comme une entité indivisible, transmise sous le régime de la primogéniture et inaugurant ainsi « le miracle capétien. »

C'est toujours en recourant à ce principe, rendant inséparable le changement de titre à un changement de régime, qu'on explique aussi pourquoi le « Roi de France » devient le « Roi des Français » le 9 novembre 1789 par décision de l'Assemblée Constituante :

« L'expression du Roi de France sera changée en celle de Roi des Français, et il ne sera rien ajouté à ce titre. » (GUYOT. 1834:57)

Ce principe est encore mis en évidence pour la fondation de la République:

« Après l’abolition de la monarchie et l’instauration de la République le 26 septembre 1792, la fin de l’ancien Régime fut symbolisée par le brisement des Sceaux de l’Etat et leur renvoi à la Monnaie par un décret des 6 et 8 octobre 1792. » (GUILLAUME, 2006)

La chute de Napoléon et la restauration permettront le retour du « roi de France et de Navarre », mais privé de la « grâce divine ». La révolution de 1830 verra le retour du « roi des Français. » Un changement du rapport de force entre les acteurs entraine un changement de régime, et par la suite le changement du titre du souverain.

La même compréhension de ce rapport de force permet d'expliquer les traités internationaux. En citant François-Eudes de Mézeray à propos du traité de Troyes de 1420, on constate que constitutionalité ou tradition légaliste peuvent facilement passer pour des phénomènes secondaires, voire négligeables, face au droit du plus fort : «L'Anglois espouse Catherine fille de France, et est déclaré successeur de la Couronne, au préjudice du Dauphin et des loix fondamentales de l’Estat » (MEZERAY.1643:1025).

3.4.2.4 : « roy de France et de Navarre » et « roy des François »

Douët d'Arcq observe que : « Louis XIII est le premier qui ait mis la légende en français, en 1617 : 

« Louis, par la grâce de Dieu, roy de France et de Navarre » (DOUET D'ARCQ. 1863 :XCXV)

Natalis de Wailly ne le contredit pas et propose la date de 1618, en précisant qu': « il subsiste de la légende quelques lettres seulement qui prouvent qu'elle était en français et que Louis XIII y prenait le titre de roi de France et de Navarre. Au contre-sceau, l'écu de France, timbré d'une couronne et supporté par deux anges debout. 1618 » (WAILLY.1843 : 485)

L'interprétation proposée par Sigilla.org présente trop d'incohérences pour être prise en compte et nous éclairer sur cette période. Le site démontre « une inadéquation des dispositifs organisationnels d'archivages des connaissance » caractérisant typiquement « l'érosion des connaissance (knowledge depreciation ) » (LEURIDAN. 2025:9) Certes les auteurs reconnaissent l'existence de deux grands sceaux différents, correspondant à deux époques distinctes du règne de Louis « le Juste.» D'abord entre 1610 et 1639:

Légende théorique : [Ludovicus XIII [Dei Gracia (un point) Francoru [m Rex]

Langue de la légende : latin39

En décrivant le grand sceau de majesté du roy de France, les auteurs affirment qu'il a été utilisé sur une période entre 1613 et 1643 sans qu'on comprenne pourquoi il existerait un chevauchement (impliquant que tous les titres se valent). D'autre part, il est difficile de comprendre pourquoi la Régente aurait changé le titre de son fils qui n’était pas encore majeur. Enfin, la transcription de la légende reste très approximative et renvoie avant tout aux a priori de la perception des auteurs, incapables de reconnaître, pour la première fois dans l'histoire, l'apparition d'un titre en français :

« Légende théorique : […] DIEU (un point) RO […]

Langue de la légende : latin (sic.)»40

Le passage au titre de « roi de France » devrait servir encore d'exemple de cette primauté du rapport de force pour rendre compte des changements de régime. La date de 1617 permet effectivement d'identifier un moment d'une rupture (inattendue et brutale) inaugurant une  nouvelle ère, dans laquelle le jeune roi est enfin libre d'affirmer pleinement sa nouvelle identité de souverain.

Pour que le jeune Louis XIII prenne les rênes du pouvoir, il lui faut organiser le « Coup de majesté » du 24 avril 1617. Le jeune roi fait assassiner le premier conseiller italien Concini (Conchine), favori de la reine-mère Marie de Médicis. Une embuscade est tendue à l’entrée du Louvre par Vitry, capitaine des gardes du corps. La femme de Concini, dame d’atours de la régente, sera plus tard condamnée pour sorcellerie puis exécutée. Le roi bannit aussi de la cour la reine mère en l'exilant à Blois. Richelieu se réfugiera sur les terres du Pape en Avignon. Le Garde des sceaux bénéficiera d'un traitement plus clément : « Mangot, prié de rendre les Sceaux à Luynes, fut gardé pour la forme quelques heures dans la chambre de Vitry, puis relâché » (PETITFILS.2008 : 231)

Dans son ouvrage consacré à Louis XIII (PETITFILS. 2008 :228 et suivantes), Jean-Christian Petitfils décrit la liesse populaire qui suit l’exécution de Concini et l’avènement de Louis XIII «le juste» :

« De partout fusaient les cris «Vive le roi»» (op.cit. :231)« Des clameurs joyeuses, confuses mais grandissantes, provenaient du grand escalier Henri II, que grimpait quatre à quatre une horde tapageuse de gardes et de courtisans. Soudainement entouré, bousculé, ovationné, Louis ouvrit la fenêtre. Dans la cour noire de monde, une onde immense de vivats monta jusqu’à lui, illuminant son visage et libérant son coeur... Il était enfin libéré de la tyrannie Conchine ! « Merci, grand merci à vous. A cette heure, je suis roi !»» (op.cit. :232.) « Puis ... grimpé sur un billard, reçut les compliments de la foule. « Maintenant je suis roi...Servez-moi bien, je vous serai un bon roi !»» (op.cit. :234)

Mais le roi ne se contente pas de l'adhésion du peuple de Paris, il voulut susciter l'adhésion de tout le pays : « La diffusion de la nouvelle dans Paris fut faite à l'instant par des cavalcades de gardes du roi, tandis que des courriers partaient aussitôt vers tous les gouverneurs de provinces ou de places [...] À Paris, les acclamations étaient telles « qu'il sembloit que tous eussent participé à cette exécution et eussent eu communication du dessein »( P. Boitel, Histoire mémorable de ce qui s'est passé..., Rouen, 1620 ; cf. p. 325. ). À Amiens, la nouvelle, arrivée dès le lundi soir, mit la ville en fête le lendemain : « tout le peuple était comme en extase et en admiration d'entendre et de voir ce que l'on espéroit point »(Mémoires de Montglat. Journal de Jehan Patte. ). L'événement correspondait exactement à l'attente monarchique de l'opinion, un jeune prince presque à son avènement, assumait sa légitimité et faisait justice lui-même du mauvais ministre, voleur et oppresseur. En tout temps, le pouvoir présente deux visages, celui brillant, du roi justicier et protecteur et puis le revers sombre de l'État celui de l'extorsion fiscale et de la contrainte des armes. La force du coup de 1617 était de réussir parfaitement cette dissociation, ces incarnations concurrentes, et d'offrir aux sujets l'image tant attendue du prince justicier." (BERCE, 1996 : 500,501)

Après avoir reçu l’approbation populaire de l'ensemble des territoires, Louis XIII se rend au Parlement de Paris. En effet, puisque «la révolution est toujours illégale» (TOSEL. 1988 : 21) quant bien même elle fut organisée par le roi en personne, Louis XIII se voit contraint de faire entériner aposteriori son coup de force par les garants des traditions juridiques. Le roi s’adresse aux « avocats généraux Servin et Lebret, en attendant l’arrivée des autres membres du Parlement : « Je suis roi maintenant, je suis votre roi ; je l’ai été, mais je le suis et serai, Dieu aidant, plus que jamais. Dites à mon Parlement que ce méchant a voulu attenter à ma personne et entrepris sur mon État .» » (PETITFILS.2008 :234)

Les révoltés (Nevers Mayenne, Vendôme...entrés en rébellion depuis janvier) se rallient au roi : « La France entière accueillit la nouvelle de [...] la prise du pouvoir par le roi dans une joyeuse et unanime explosion. On louait Louis XIII comme "le plus grand roi de toute la terre", le glorieux "libérateur de la république françoise » (op.cit. :237)

Depuis l'apparition du Chrisme (Khi Rho) sur le sceau de Charlemagne, les souverains Francs et Français se placent systématiquement sous la protection divine. Elle devient la justification la plus explicite, et précédant toutes les autres, pour permettre au roi d'affirmer sa légitimité à monter sur le trône. Ce principe de la « Vox Dei », appelant le roi à régner, apparait indiscuté et parfaitement admis comme le montre les cahiers de doléance de 1614: « comme il [le roi] est reconnu souverain en son État, ne tenant sa couronne que de Dieu seul, il n'y a puissance en terre, quelle qu'elle soit, spirituelle ou temporelle qui ait aucun droit sur son royaume, pour en priver les personne sacr58ées de nos Rois, ni dispenser leur sujets de la fidélité et obéissance qu'ils lui doivent pour quelque cause ou prétexte que ce soit. » (CHARTIER, NAGLE. 1973:1489)

En plus de s'appuyer sur les principes traditionnels, d'abord d'ordre divin, mais surtout dynastique et de primogéniture, en plus de bénéficier du soutien du parlement de Paris, agissant comme une cour constitutionnelle, en plus de trouver un soutien dans la noblesse révoltée, le nouveau « roi de France » pourra aussi revendiquer une légitimité tirée de l'acclamation populaire. La « Vox Populi » de tout un pays reconnait en son roi le héros national qui le libéra de la tyrannie de l'Etranger.

La diplomatie menée sous la régence de Marie de Médicis a certainement engendré cette sensation largement partagée, et sans doute bien fondée. La Régente a effectivement fait entrer au conseil du roi le nonce apostolique et l'ambassadeur d'Espagne (CARMONA. 1985 : 10), et livrée au gouvernement de Conchine, son compatriote florentin, la France passe définitivement pour un État « abandonné à la tyrannie de l'Etranger.» (MATTHIEU. 1618:10)

Ainsi le meurtre de Conchine est une étape indispensable menant à la « libération nationale.» S'opposer au Florentin, c'est faire acte de résistance. Cette conception est clairement exprimée par Pierre Mathieu qui se présente comme un résistant «prêt de souffrir toutes choses courageusement pour la défense de la vérité et de la liberté de la France.» (MATTHIEU. 1618:3)

Dans les derniers chapitres de son étude sur «la France de Richelieu», ayant à maintes reprises mis l'accent sur la politique d'indépendance - voire de libération nationale - menée par le ministre pour son roi, Michel Carmona écrit  :  « « Un pouvoir qui proclame que le roi sera puissant par la possession du cœur de ses sujets » mais se demande s'il faut vraiment être mieux roi des Français que de la France et si, à tout prendre, l'or et l'argent ne constituent pas un trésor aussi précieux que l'affection des peuples. »(CARMONA. 1985 : XX)

En filigrane, Michel Carmona aborde la problématique qui nous intéresse. Sans pour autant décrire les implications politiques et techniques de deux régimes différents, il n'en imagine pas moins deux concepts opposés : le « roi des Français » contre le « roi de France. » Si en 1617, le roi tire aussi sa légitimité de l'approbation directe accordée par la « vox populi », il faudra attendre 1790 pour que le « Roi des Français » ne puise plus sa légitimité que dans la loi et la constitution.

Mais promettant l'abolition d'un système féodal grevées d'autant de disparités fonctionnelles vécues, à juste titre, comme autant d'injustices permanentes et insupportables, l'absolutisme comme projet politique mis oeuvre par le « roi de France », constitue déjà un progrès de justice sociale. Libérés des tyrannies locales, l'ensemble des sujets du royaume ne reconnaitra plus qu'un suzerain unique en dessous duquel, tous ses sujets deviennent absolument égaux dans leur soumission à la puissance royale.

Même s'il soulève un refus général et ne trouve aucun parlement de Province pour approuver son application, le « code Michau » de 1629, pensé comme réponse aux doléances de 1614, n'en reste pas moins la première tentative de mettre en place ce nouveau régime, notamment grâce à son article instaurant « la directe universelle du roi » :

« L’article 383 est devenu célèbre comme étant le premier document législatif où ait été énoncée d’une manière nette en France la théorie de la directe royale universelle. Désormais quand une terre sera prétendue allodiale, dans les pays censuels, rien n’est changé : ce sera à l’alleutier à prouver la franchise de sa terre, soit à l’égard d’un seigneur subalterne soit à l’égard du roi. Dans les pays allodiaux, il faudra distinguer : contre un seigneur subalterne, l’allodialité sera toujours présumée ; mais contre le roi, il faudra maintenant la prouver par titres, car l’héritage qui n’a pas de seigneur est censé relever du roi. L’effet de l’article 383 du Code Michau est donc d’étendre à tous les pays allodiaux la règle :

« nul franc-alleu sans titre, quand il s’agit du roi »  » (KADLEC.2012 : #26)

Se libérant de l'emprise des forces étrangères, mettant fin au féodalisme grâce au lien direct tissé avec l'ensemble de ses sujets, incarnant un Etat dont il devient le centre des prises de décisions, le projet politique inauguré par Louis XIII le 24 avril 1617 correspond aux critères mise en avant par Roger Martelli pour décrire la première phase de l'émergence du « phénomène national » :

« La phase des proto-nations, en général autour d'un Etat centralisé : Royaume-Uni, France, Espagne. Puis, dans les failles des empires, ont lieu les premières émancipations  (type Pays-Bas, XVIe siècle). » (MARTELLI:13)

Mais plus qu'une lente émergence de la pensée holistique, la date symbolique du « coup de majesté » s'interprète aussi comme « la naissance d'une nation. »

4 - CONCLUSION 

Pour chercher à savoir qui était le premier « roi de France », nous avons choisi d'étudier les légendes inscrites sur les sceaux des souverains à travers l'histoire. En les rassemblant dans un tableau chronologique, nous avons pu facilement les comparer. En effet, cette voie est apparue la plus sûre pour éviter les erreurs des copistes et des commentateurs. On aurait pu s'attendre à une évolution « naturelle » et graduelle du titre du souverain. Ses formes successives auraient résulté des changements d'usages linguistiques, transformant d'abord le « rex Francorum » en « rex Franciae », avant d'aboutir au moderne « roy de France. »

On a effectivement observé en partie une telle évolution linguistique. On explique ainsi les variations dans les positions postposées ou antéposées du génitif dont relève le passage du «Gratia Dei» au «Dei Gratia.» Ces variations linguistiques peuvent avoir des implications sémantiques signifiantes sur le plan politique. Elles permettent de différencier le « rex Francorum » mérovingien du « Fracorum rex » capétien. On s'aperçoit alors de la pauvreté de la traduction française du « roi des Francs » incapable de différencier deux réalités dynastiques distinctes. Thierry (680) entame la brève, mais stable et cohérente, dynastie des « rex Francorum. » Elle sera suivie de la dynastie capétienne caractérisée par son insatabilité systématique de la forme du titre du souverain. Pourtant, c'est à cette époque qu'apparaissent les éléments réutilisé par les souverains capétiens. C'est Henri Ier (1031) qui donnera à la fois l'ordre canonique de la légende « DEI GRATIA FRANCORUM REX » et l'arrangement traditionnel de l'illustration enluminant le sceau de majesté. La légende du sceau pourra être parfois enrichie, par le chiffre du roi à partir de « Karolus Octavus » (Charles VIII, 1495). En épousant une reine d'un autre Etat, le roi de France pourra aussi enrichir son titre de celui de son épouse (la Navarre ou l'Ecosse). Mais dans son noyau, le titre restera dans inchangé jusqu'à son passage à la forme française (1617).

Le passage direct de la forme « Francorum rex » à la forme française pourrait surprendre, mais notre tableau montre positivement qu'aucun des rois de France n'a jamais porté le titre de « rex Franciae. » Suivant les critères modernes, c'est l'anglais Edouard III, petit-fils de Philippe IV « le bel », qui prit ce titre pour rallier à sa cause les Flandres (1340). On peut donc résumer « la guerre de cent ans », comme la lutte opposant le « rex Franciae » Plantagenêt au « Francorum rex » Valois.

Deux siècles plus tard (1559), François II et son épouse Marie Stuart, rendront la politesse aux « Anglais » en se proclamant « Rex et Regina Francorum, Scotorum, Angliae et Hyberniae »

Même si une certaine interprétation juridique admet que des principes de transmission de la couronne peut donner raison aux revendications d'Edouard III ou François II et Marie Stuart, celles-ci sont rester vaines, faute d'un rapport de force favorable.

On s'aperçoit que la forme précise du titre ne relève pas d'impératifs linguistiques reflétant l'évolution des usages, mais au contraire résulte d'un choix, parfaitement réfléchi, et exprimant le projet politique particulier du souverain. Le changement du titre du souverain entre dès lors dans une logique du projet, il existe une motivation stratégique qui explique la rupture de la continuité traditionnelle qui précédait.

Cette rupture peut être d'ordre dynastique, Mérovingiens, Carolingiens et Capétiens ne portant pas le même titre.

Cette rupture peut aussi marquer un changement de régime et de fonctionnement de l'Etat.

Le passage du « Francorum rex » au « roy de France », puis au « roy des Français » (1790) en constituent autant d'exemples marquants.

Pour répondre à notre question de départ, nous avons formulé l'hypothèse que l'apparition du titre « Roy de France (et de Navarre) » date du 24 avril 1617, jour où Louis XIII a mené à bien son « coup de Majesté » et a initié son projet politique révolutionnaire. En faisant assassiner le conseiller Concini, exilant la Régente à Blois, le jeune roi a été perçu comme le héros qui a libéré son pays de la tyrannie de l'étranger. Il allait plus tard gagné sur surnom de « juste » en cherchant à abolir les injustices et les disparités locales du féodalisme. Il instaura un nouvel Etat qui lui survit encore aujourd'hui.

1-Nicolas Sarkozy - septembre 2016 - https://twitter.com/nicolassarkozy/status/1390335709890875397 [consulté le 18.8.24]

2-https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_monarques_de_France [consulté le 6.1.25]

3-https://www.maxisciences.com/histoire/qui-fut-le-premier-roi-de-france_art50967.html consulté le 22/05/25

4-https://fr.wikipedia.org/wiki/Roi_des_Fran%C3%A7ais [consulté le 31.8.24]

5-Grégoire de Tours, Histoire des Francs (livre II)

6- « Stricte vcro regnum Francorum accipitur quando sola Gallia Belgica regnum Francorum vocatur, que est infra Renum, Mosam et Ligerim coarlata, quam Galliam appropriato vocabulo, moderni Franciam vocant. Modo vero, propter insolentiam regum^ Francorum, nec tamen terram istam quam Franciam vocant juribus suis in integrum habere merentur. »

8- http://www.sigilla.org/sceau-type/robert-ii-pieux-premier-sceau-30422 [consulté le 2.9.24] "Roi de France" dans la base Sigilla (permalink : https://sigilla.irht.cnrs.fr/204297). Consultation du 02/02/2025.

9- "Roi des Francs" dans la base Sigilla (permalink : https://sigilla.irht.cnrs.fr/203284). Consultation du 03/02/2025. 

10- "Roi de France" dans la base Sigilla (permalink : https://sigilla.irht.cnrs.fr/204297). Consultation du 03/05/2025.

11- https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_monarques_de_France [consulté le 31.8.24].

12- https://en.wikipedia.org/wiki/Style_of_the_French_sovereign

13- (RIGORD. GESTA PHILIPPI AUGUSTI : 1, cité par DELABORVE. 1882 : 96)

14- https://en.wikipedia.org/wiki/Kingdom_of_France [consulté le 31.8.24]

16- Op. Cit.

17- Op.Cit.

18- https://www.caminteresse.fr/histoire/depuis-quand-notre-pays-sappelle-t-il-la-france-108800/ [consulté le 31.8.24]

19http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_II_de_France [consulté le 31.8.24]

20Domuique Austriacae obstricti fueranl, eosque ad subjeclionem, obedientiam et fidelitatem Régi Regnoque Galliae praestandam remittunt, obligantque.

21Disponible sur le site de François R. Velde  https://www.heraldica.org/topics/france/frroyal.htm [consulté le 21.6.25]

22Depuis François Eudes de Mézeray, les grands spécialistes manifestent une certaine « désinvolture » dans l'usage des catégories caractérisant le titre des souverains. J. Le Goff, Pour un autre moyen âge. tel/Gallimard.1977. P.308., résume le début d'une nouvelle en latin rédigée entre 1185 - 1193 par le moine Walter Map, résidant à la cour du Roi d'Angleterre. Le manuscrit raconte l'histoire du héros Henno, qui porte secours à « une jeune fille rescapée d'un naufrage d'un navire qui la conduisait vers le Roi de France qu'elle devait épouser.» Si l'original contenait effectivement la catégorie de Rex Franciae, son authenticité en deviendrait douteuse. Du moins, la transcription en français montre un usage non problématisé de la catégorie, un usage sans précision, trop large, "désinvolte"...un usage d'autant plus désinvolte qu'il ne respecte pas l'expression originale (regi Francorum) de l'édition de 1914 à laquelle se réfère J. Le Goff : M.R. James, Oxford, 1914, p. 175 - consultable en ligne sur archive.org  https://archive.org/details/waltermapdenugis00mapwuoft/page/n217/mode/2up?q=Henno [consulté le 21.6.25]

23« On connaît en effet l'exigence positiviste de Heisenberg qui veut que toutes les notions employées aient un sens expérimental. » (Gaston Bachelard.1934 : 48)

24Colette Beaune, Naissance de la nation France, Paris, éd. Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1985, 574 p. (ISBN 2-07-032808-2), p. 419. cité par https://fr.wikipedia.org/wiki/Francie#cite_ref-Naissance_de_la_nation_France_43-2 consulté le 18.11.24

25Jean-Paul Meyer, Les Fils de L'An 2000 Essai [archive], 1998, p. 61 cité par https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_monarques_de_France#Titres_officiels [consulté le 22.6.25]

26 http://www.sigilla.org/sceau-type/philippe-ii-auguste-deuxieme-grand-sceau-21788

27Geneviève Bührer-Thierry et Charles Mériaux. La France avant la France (481-888), éd. Belin, 2010, p. 68. cité par Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Child%C3%A9ric_Ier#cite_note-52 [consulté le 24.6.2025]

28 http://www.sigilla.org/sceau-type/clovis-ier-sceau-29347 [consulté le 17.01.25]

29La version traduite et numérisée par Marc Szwajcer est consultable en ligne sur le site de Philippe Remacle : https://remacle.org/bloodwolf/historiens/marius/chroniques.htm [consulté le 17.01.25]

30(DOUET D'ARCQ.1863 :267) cité par la base Sigilla (permalink : https://sigilla.irht.cnrs.fr/115455). Consultation du 30/01/2025.

31"Hugues Capet - sceau" dans la base Sigilla (permalink : https://sigilla.irht.cnrs.fr/65). Consultation du 30/01/2025.

32 Tractatum de Pace cum Consanguineo nostro Franciae habere (RYMER. 1739,t2p3 :200)

33Nosque ab earum observatione liberos & exutos , ut cum pace & reverentia Sanctitatis vestrae loquamur, Praefatum Philippum , ut Violatorem dictarum Treugarum, ac Inimicum & Persecutorem nostrum Capitalem , & Regni nostri Franciae Occupatorem Injustum , & aliorum Jurium nostrorum  (RYMER. 1739,t2p4 :176)

34Weir, Alison (1996). Britain's Royal Families: The Complete Genealogy (Revised ed.). London: Random House. ISBN 0-7126-7448-9. - cité par Wikipedia, article George III [112] - https://en.wikipedia.org/wiki/George_III#cite_note-weir286-118 – consulté le 28/5/25

35Juliet Barker (2 September 2010). Agincourt: The King, the Campaign, the Battle. Little, Brown Book Group. p. 24. ISBN 978-0-7481-2219-6. -  cité par Wikipedia, article Dieu et mon droit [4] -https://en.wikipedia.org/wiki/Dieu_et_mon_droit#cite_note-Barker2010-4 - consulté le 29/05/2025

36 Acte daté de Paris du 10 juillet 1328 in CHARON.2019 : note en bas de page 13.

37Mercure François. Tome 1, 1605-1610. P.417, disponible sur le site de l'école des hautes études en sciences sociales : http://mercurefrancois.ehess.fr/picture.php?/1821/category/31

38Victor-Lucien Tapié, La france de Louis XIII et de Richelieu (1952). Le principe d'instantanéité de la succession est consacré par deux ordonnances de Charles VI, en 1403 et 1407. (HOARAU.2017 : note 4 en bas de page)

39 « Louis XIII de France - grand sceau - Roi de France - 1610/1639 » dans la base Sigilla (permalink : https://sigilla.irht.cnrs.fr/2689). Consultation du 23/02/2025.

40 « Louis XIII de France - grand sceau - 1613/1643 » dans la base Sigilla (permalink : https://sigilla.irht.cnrs.fr/2690). Consultation du 13/06/2025.

 

BIBLIOGRAPHIE et SITOGRAPHIE

https://www.fr-tul.cz/clanky/rex-bibliographie.html